Algérie-Nigéria: comment l’argent du pétrole a été jeté par la fenêtre

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Le 24/09/2016 à 12h12, mis à jour le 24/09/2016 à 13h02

La masse salariale algérienne a été multipliée par trois, alors que celle de l'Etat nigérian est passé de moins de 500 milliards de nairas à 1700 milliards. C'est l'une des causes des difficultés actuelles de ces deux pays qui n'ont pas su capitaliser sur la hausse des cours du pétrole.

Voila deux Etats africains qui ont en commun d’être les plus dotés en ressources pétrolières et gazières du continent. Ils ont bénéficié de la croissance des prix du pétrole qui aurait dû les mettre à l’abri du besoin. Mais tels de nouveaux riches, ils ont dépensé sans compter. Résultat : ils sont obligés d’emprunter pour vivre.

En juin dernier, ce qui constituait un doux matelas financier pour l’Algérie a fondu comme neige au soleil.

Obligés d'emprunter à l'international

A force d’y puiser, l’Algérie n’a plus de marge de manœuvre quant à l’utilisation du Fonds de régulation des recettes (FRR). En effet, durant les six premiers mois de l’année, quelque 1334 dinars algériens ont été puisés dans ce FRR, ce qui a ramené son niveau en deçà du minimum exigé par la loi et qui est de 740 milliards de dinars. Aujourd’hui, pour s’en sortir, l’Algérie est obligée d’emprunter. Le trésor public s’adressera certainement au marché intérieur comme il l’a déjà fait en ponctionnant quelque 318 milliards de dinars de l’emprunt obligataire lancé par l'Etat. Mais tout le monde s’attend à ce que le pays fasse une sortie sur le marché international, en plus d’un emprunt adressé à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international.

Le Nigéria également est pris à la gorge par les charges budgétaires. Le pays qui avait bénéficié de l’annulation d’une bonne partie de sa dette, selon Sanusi Lamido Sanusi, ex-gouverneur de la Banque centrale du Nigéria, est de nouveau obligé de recourir au marché international pour remplir les caisses du Trésor. Le ministère des Finances a bouclé cette semaine la levée d’un milliard d’euros sous forme d’eurobonds.

Vivre au jour le jour

Pourquoi en est-on arrivé au stade où ces deux puissances pétrolières africaines doivent jouer dans la même catégorie que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ? En réalité, ni l’Algérie ni le Nigéria n’ont su capitaliser sur les importantes recettes pétrolières engrangées durant les années de forte croissance des prix du pétrole.

Pour le cas algérien, il faut surtout rappeler que, pour faire taire la gronde issue de la contamination du printemps arabe, le gouvernement a acheté la paix sociale. Entre 2009 et 2011, l’Algérie a augmenté le Smig de 50%, le faisait passer de 120 à 180 euros.

Ainsi, en 2011 le salaire moyen dans le secteur public avait déjà atteint 41.200 dinars, contre 29.400 dinars dans le privé. C’est dire que le gouvernement algérien n’y est pas allé de main morte dans sa stratégie d’apaisement. Et c’est comme cela que d’année en année, les salaires ont augmenté. En 2012, le Smig est allègrement passé de 15.000 à 18.000 dinars. En 2014, année d’élection présidentielle, on a procédé à un nouveau réarrangement et donc à une nouvelle hausse. Ainsi, le public passe-t-il à une moyenne de 52.700 dinars, selon l’Office national des statistiques (ONS), alors que le privé atteint un salaire moyen de 31.000 dinars.

Une masse salaire de 40 milliards de dollars

Quoi qu’il en soit, le nouveau riche d’Afrique du Nord continuera à dépenser sans compter, pas seulement concernant les salaires, mais dans tous les domaines, sauf l’investissement productif bien sûr. Ainsi, les dépenses courantes dans le budget algérien ont littéralement explosé, entre 2007 et 2015. Elles sont passées de 22 milliards à 62 milliards de dollars, soit presque du simple au triple. Et dans ces 62 milliards de dollars, plus de 40 milliards étaient uniquement pour payer des salaires en 2015. C’est dire que la totalité des recettes supplémentaires du pétrole sont venus pour payer uniquement des salaires.

L’Algérie n’a donc pas songé à diversifier son économie. Pire, confiante en l’avenir, elle n’a pratiquement fait aucun effort pour attirer les investissements directs étrangers. Ainsi, la loi 51/49% qui fixe la limite du capital que peuvent détenir des étrangers dans une entreprise a été votée et étendue à pratiquement tous les secteurs. Une manière de dire aux investisseurs étrangers, nous n’avons pas besoins de vous ? C’est ce que pensent beaucoup en tout cas. Quoi qu’il en soit, ces dispositions réduisent sensiblement l’attractivité du pays. De sorte qu’à la fin de l’euphorie pétrolière, les cours qui sont passés de 140 à 45 dollars entre 2012 et 2016 n’arrangent pas les choses pour le Trésor. L’économie algérienne n’a pas eu de relais capables d’assurer des recettes régulières différentes du pétrole.

Les salaires explosent au Nigéria

Au Nigéria, le schéma est le même. Les recettes supplémentaires issues de la manne pétrolière ont atteint quelque 14 milliards de dollars. 14 milliards qui partaient en fumée à peine étaient-ils encaissés. Ainsi, comme en Algérie, l’année 2010 qui correspondait à l’élection présidentielle a vu les salaires minimums portés à 18.000 nairas. Ainsi, la masse salariale qui n’était que de 443 milliards de nairas en 2005 est passée à quelque 1.700 milliards de nairas en 2012.

La similarité entre les deux pays est déconcertante. Sauf qu’au Nigéria, il faut également tenir compte de la corruption, notamment sous le règne de Goodluck Jonathan. Ainsi, 60 millions de litres de carburants étaient déclarés à l’importation en 2011. Il faut rappeler que le Nigéria est en sous capacité de raffinage. Par conséquent, il importe une bonne partie de son carburant et les subventionne, alors que le pays est l'un des gros producteur et exportateur du brut en Afrique.

Une corruption à grande échelle

Mais, selon Sanusi Lamido qui était alors gouverneur de la Banque centrale nigériane, "tout ceci n’était que mensonge". Les chiffres étaient gonflés par des importateurs véreux qui recevaient gratuitement des milliards de dollars de subventions avec la complicité des dirigeants. "C’est comme cela que des dizaines de Nigérians sont devenus milliardaires ou au moins millionnaires", dénonce Sanusi Lamido. La preuve : aujourd’hui, quand l’argent du pétrole a disparu, et avec l'avènement du président Buhari, les importations sont subitement redescendues à quelque 3 millions de litres de carburants par jour. La vaste chaîne de corruption comprenait aussi bien les responsables de la douane, les autorités portuaires, les agents du ministère des Finances. Ainsi, chaque année, jusqu’à 7 milliards de dollars partaient en fumée.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 24/09/2016 à 12h12, mis à jour le 24/09/2016 à 13h02