Algérie-Guinée: les vraies raisons du rappel de l'ambassadeur guinéen à Alger

Ahmed Ouyahia, le Premier ministre algérien, recevant Mamady Touré, le ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger, le 5 décembre 2017 à Alger. Est-ce là que les relations ont commencé à se détériorer?

Ahmed Ouyahia, le Premier ministre algérien, recevant Mamady Touré, le ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger, le 5 décembre 2017 à Alger. Est-ce là que les relations ont commencé à se détériorer?. DR

Le 16/01/2018 à 21h03, mis à jour le 17/01/2018 à 10h11

A peine un mois après la réunion de la 3e commission mixte algéro-guinéenne, Alpha Condé a signifié son ras-le-bol à son homologue Abdelaziz Bouteflika. Il montre par là que la Guinée n'est pas le Mali dont les dirigeants sont tenus au collet par Alger à cause de la question du terrorisme.

C'est le 3 décembre dernier que la Commission mixte entre l'Algérie et la Guinée se réunissait pour la 3e fois. L'occasion pour les pays d'évoquer les principaux points de leur coopération. Selon l'ambassadeur d'Algérie en Guinée, "une feuille de route a été élaborée. Elle identifie dix actions que les deux parties doivent réaliser dans l’intervalle séparant la session actuelle de la prochaine qui se tiendra à Conakry en 2019".

A la fin de cette réunion, le ministre algérien des Affaires étrangères, le maladroit Abdelkader Messahel, a failli vendre la mèche sur ce qui préoccupait la partie guinéenne. A ce titre l'agence de presse officielle algérienne, l'APS, avait révélé dans sa dépêche que "Messahel a relevé que la question de la migration clandestine "préoccupe les deux pays", précisant qu’il a convenu avec son homologue guinéen, Mamady Touré, d'"approfondir la question par l’échange d’informations et par une coopération accrue"". 

Toujours selon APS, Messahel a ajouté qu'il s’agissait de "conjuguer les efforts des deux pays pour lutter contre ce phénomène qui est en train de constituer une véritable menace pour la stabilité et le développement des pays africains". Et c'est là la vraie raison de la colère d'Alpha Condé et la pomme de discorde entre l'Algérie et la Guinée. Il y a une véritable divergence de point de vue. 

Alger se fait pressante et voudrait que la Guinée accepte le rapatriement de milliers de migrants guinéens en transit vers l'Europe, mais qui sont bloqués. Devant le refus répété de la diplomatie guinéenne, Alger a entrepris depuis longtemps de les jeter à la frontière nigérienne. Le Niger étant un pays membre de la CEDEAO au même titre que la Guinée, les citoyens de ce dernier pays peuvent y séjourner librement, en principe. Sauf que, quand les migrants guinéens sont renvoyés vers Agadez, bien souvent, ils sont contraints de prendre le chemin inverse. 

Pire, les conditions de leur expulsion vers le Niger sont atroces. Alger mène des rafles devenues régulières, lesquelles concernent tous les Subsahariens. Des cohortes de migrants sont ensuite acheminées vers Tamanrasset et jetées dans le désert. Alger a beau affirmer le contraire, il existe des témoignages accablants qui montrent les conditions inhumaines dans lesquelles ces expulsions contraires au droit international ont lieu. Il y a un an, deux Guinéens sont morts lors d'opérations menées par Alger. 

Alpha Condé, connu pour son franc-parler, a fait savoir à Alger que les Guinéens méritaient un meilleur traitement, selon un diplomate guinéen interrogé par le site d'information guinéen Aminata.com. Aujourd'hui, l'heure est au changement de discours et Condé adopte le seul langage que comprend Alger, celui de la réaction forte. 

Ce rappel de l'ambassadeur guinéen fera-t-il entendre raison à Alger pour qu'elle cesse ses méthodes et ses discours racistes vis-à-vis des migrants subsahariens? Rien n'est moins sûr, si l'on se réfère aux différentes déclarations des dirigeants algériens, parmi les plus proches d'Abdelaziz Bouteflika. 

L'Algérie, qui fut l'un des plus grands partenaires de la Guinée de Sékou Touré, ne peut aujourd'hui revendiquer qu'une "relation ancienne" avec ce pays d'Afrique de l'Ouest. L'intensité de la coopération n'a finalement pas résisté à la volonté d'Alger de s'isoler des pays d'Afrique subsaharienne. Heureusement qu'il lui reste l'instabilité dans le nord Mali pour espérer continuer à jouer un rôle dans le processus de paix malien. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 16/01/2018 à 21h03, mis à jour le 17/01/2018 à 10h11