L'Algérie "loue" un secteur de monopole aux Emiratis pour ne pas privatiser

Ahmed Ouyahia, Premier ministre d'Algérie.

Ahmed Ouyahia, Premier ministre d'Algérie.. DR

Le 10/04/2018 à 16h28, mis à jour le 10/04/2018 à 16h30

Par un orgueil mal placé, le sujet de la privatisation demeure un tabou en Algérie. Du coup, le ministère des Finances a usé d'un numéro de passe-passe par lequel il a violé la règle des 51/49% et privatisé l'activité d'une vraie vache à lait qui rapportait 390 milliards de dinars par an.

En Algérie, la privatisation reste un tabou. L'Etat maintient le mythe d'un pays capable de se prendre en charge. Cependant, devant les difficultés auxquelles fait face le Trésor public, il faut bien se résoudre à céder quelques participations publiques. 

Ainsi, l'Etat algérien vient de se livrer à un exercice de contorsion juridico-financier pour "céder" deux grandes entreprises, dont l'une est vendue alors que l'autre a été donnée en location. Cette deuxième décision est un événement incroyable pour un établissement industriel, mais cela arrive bien en Algérie. 

Le Conseil des participations de l'Etat a ainsi donné son accord pour, d'une part, la vente du complexe siderrugique d'El Hadjar et, d'autre part, la location de l'ex-Société nationale de Tabac d'Algérie (SNTA) devenue MADAR. Dans les deux cas, la gestion passe du public au privé. Dans le second cas, il serait plus approprié de parler de concession, sauf que ce terme est réservé au transfert d'un service public et non à l'exploitation d'une entreprise de tabac.

C'est dire que les autorités algériennes se sont livrées à une véritable gymnastique en recourant à cette démarche bien singulière. Mais elles y étaient bien obligées à cause des difficultés que connait le pays dans tous les domaines. 

Le complexe sidérurgique El Hadjar, par exemple, connait des difficultés récurrentes depuis septembre 2017, difficultés liées à de graves problèmes financiers. Il y a eu une coupure d'eau qui a ramené sa production d'acier à 1000 tonnes par an, contre une capacité de 2600 tonnes auparavant. Une fois sortie de cette coupure d'eau, la société n'a pas pu acheter le coke de charbon nécessaire à l'exploitation de ses hauts fourneaux. Résultats: il y a eu un arrêt pendant plusieurs semaines. De l'aveu même du ministre des Finances, la société est lourdement endettée et ne parvient pas respecter ses échéances. C'est donc pour sortir de ce naufrage que la décision a été prise de faire appel aux fonds émiratis, à travers la société Emarat Dzayer.

"À ce titre, la réorganisation du complexe (d’El Hadjar) a été validée en même temps qu’a été décidé un rééchelonnement à long terme de sa dette s’élevant à plus de 122 milliards dinars algériens (DA). Le complexe d’El Hadjar bénéficiera aussi d’un financement additionnel de modernisation pour 23 milliards DA et sera également doté de capacités autonomes en alimentation électrique et en eau re-traitée», explique le ministère des Finances dans un communiqué. 

Mais c'est surtout pour le Groupe MADAR que l'Etat algérien a usé d'un tour de passe-passe, dont l'objectif ultime est de mieux brouiller les pistes aux yeux des Algériens. Ainsi, dans une première étape, le Groupe MADAR (ex-SNTA), détenteur le monopole de la vente de tabac, a créé la United Tobacco Company en joint-venture avec un partenaire émirati. Sauf que la loi algérienne des 51/49% veut que 51% au moins du capital de la joint-venture soit entre les mains des nationaux.

Mais la manière utilisée pour contourner cette disposition prête à sourire. En effet, le Groupe MADAR ne détient que 49% contre 41% pour son partenaire émirati. Jusqu'ici tout va bien, la loi étant respectée. Pour les 10% restants, la société émiratie a trouvé 4 de ses compatriotes pour acheter les 8% et a offert à une de ses cadres algériennes les 2%. Du coup, elle a trouvé la méthode sublime pour être en possession de 51% du capital, sans réellement en être l'unique propriétaire.

Dans une deuxième étape, ne voulant pas vendre le Groupe MADAR, l'Etat algérien a donné en location toute son activité (Installations industrielles et licences) à la United Tobacco Company, c'est-à-dire aux Emiratis, moyennant une redevance annuelle de 3,5 milliards de dinars. Il fallait vraiment y penser.

Sauf que le groupe tabactier, en situation de monopole, est une vraie vache à lait, puisqu'il dégage bon an mal an quelque 390 milliards de dinars de bénéfice, selon Louisa Hanoune, farouche opposante au régime de Bouteflika. L'élue, qui crie au scandale, a contribué à révéler le pot-aux-roses lors d'une sortie médiatique en janvier dernier dans les colonnes d'Inter Ligne. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 10/04/2018 à 16h28, mis à jour le 10/04/2018 à 16h30