Algérie. Alain Faujas: le "sauve-qui-peut" en attendant Godot

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Le 24/05/2018 à 08h44, mis à jour le 24/05/2018 à 08h48

Selon l'économiste Alain Faujas, l'Algérie veut singer l'Indonésie du début des années 1990 dans sa politique de sortie de crise. Sauf que son économie mono-produit, ses entreprises rentières et ses mesures "sauve-qui-peut" la mèneront vers l'échec.

Quand la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale appellent l'Algérie à une politique d'austérité budgétaire et de développement des exportations, les dirigeants se vautrent dans une idéologie qui prône l'indépendance à tout prix, sans en avoir les moyens.

Car "l’équation qui s’impose au gouvernement algérien est complexe", tranche d'emblée l'économiste français Alain Faujas, dans une tribune publié dans un hebdomadaire français. Selon lui, "en attendant une remontée durable des cours du pétrole, dont la chute a sévèrement dégradé ses comptes depuis 2014, il lui faut contenir ses déficits, soutenir une croissance molle et un dinar vacillant, sans exaspérer une population biberonnée aux subventions et à l’intervention étatique".

Sauf que l'Algérie s’y prend mal. Ses dirigeants veulent adopter une stratégie identique à celle de l'Indonésie sous Mahathir Mahamad, au début des années 2000. Mais, les contextes ne sont pas les mêmes, les économies sont différentes et aucun d'eux ne peut prétendre au génie du Premier ministre indonésien de l'époque. 

Aussi, Mahathir pouvait-il tirer grand profit du fait que son économie était bien insérée dans la mondialisation et extrêmement diversifiée. D'ailleurs, c'est cette forte ouverture qui l'avait exposé et la crise financière asiatique avait contaminé son marché intérieur. Du coup, il préconisa le contrôle des capitaux afin de couper le mal à la racine, puisque c'est "la spéculation (qui, NDLR) déstabilisait sa monnaie". Après cette fermeture, il fallait miser sur la relance par le marché intérieur en dopant la consommation. 

C'est plus ou moins ce qu'a voulu faire l'Algérie, sauf que si les symptômes de crises sont les mêmes, les causes sont différentes et donc le remède indonésien pourrait être néfaste. En effet, souligne Alain Faujas, l'Algérie a une économie mono produit et ses entreprises ne comptent que sur le dirigisme, le protectionnisme, les subventions et toutes sortes d'accointances avec le régime. Elles sont loin d'être compétitives sur les rares segments où elles sont présentes. Et lesdits segments se comptent sur le bout des doigts, de sorte que le pays importe tous ses besoins en produits manufacturés. Par exemple, si l'Algérie est le 4e producteur de dattes et en exporte pour 40 millions de dollars, c'est pour importer 5 fois plus en mayonnaise, ketchup, etc. De sorte que vouloir décréter une relance par la consommation intérieure n'est que pure utopie

Au final les décisions à l'emporte-pièce ressemblent plus à un sauve-qui-peut. C'est le cas des produits interdits à l’importation, mais aussi de la taxe prohibitive que vient de mettre en place le gouvernement dans sa loi de finances rectificative adoptée récemment en Conseil des ministres.

"Malgré les serments d’amour officiels, la très dirigiste Algérie se défie de l’entreprise. Le manque de crédits, l’instabilité des réglementations fiscales et douanières, le bon plaisir des dirigeants rendent la vie difficile au secteur privé. Le président lui-même redoute qu’un entrepreneur trop en vue se prenne pour Berlusconi et tente de prendre sa place", tranche le spécialiste en macro-économie. 

En plus d’avoir ce climat des affaires peu favorable, l'Algérie à une loi qui ressemble à du poil à gratter pour les investisseurs. Il s'agit de la loi dit du 49/51% qui interdit aux étrangers de détenir plus de 51% du capital d'une société en Algérie. 

Pour espérer sortir de cette crise, les dirigeants algériens ont deux options. La première aurait été d'avoir le courage de prendre des mesures impopulaires pour réduire le déficit budgétaire. Mais, la rallonge de 500 milliards de dinars, soit 3,6 milliards d'euros, que vient de décider le gouvernement dans la loi de finances rectificative montre à suffisance que l'austérité n'est pas au rendez-vous. Par cette disposition, ils mettront encore en route la planche à billets au risque d'aggraver l'inflation qui est officiellement au taux de 5%. L'autre option, consiste à attendre que les cours du pétrole remontent légèrement et se stabilisent autour de 80 dollars le baril de Brent. S'ils sont bien incapables de mettre en œuvre la première option, pour la seconde leur attentisme pourrait faire l'affaire. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 24/05/2018 à 08h44, mis à jour le 24/05/2018 à 08h48