Alors qu’Ahmed Ouyahia pensait avoir trouvé le bon bout pour sortir de la crise, voilà qu’il fait l’objet d’un désaveu qui en dit long sur la détérioration des relations avec Abdelaziz Bouteflika ou plutôt ceux qui décident à la place du président algérien, qui peine à quitter son lit et à s’exprimer. En effet, hier, des membres du gouvernement ont ébruité le contenu d'un courrier cinglant envoyé à l’ensemble des ministres. Sur sa page Facebook, le député du Parti des travailleurs, Ramdane Tâzibt, a publié: "Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a été sommé de stopper la privatisation et le pillage des entreprises publiques».
"Aucune ouverture de capital, aucune privatisation d’une entreprise nationale ne sera faite sans l’accord de Monsieur le président de la République, et ce sont ses prérogatives", a déclaré le ministre de l’Industrie et des Mines, Youcef Yousfi, lors d’une visite à Relizane, à 305 km au sud-est d’Alger dimanche.
La missive, qui a des allures de décret présidentiel, les mettait en garde concernant d’éventuelles opérations de privatisation des entreprises publiques sans son aval. Pour le Premier ministre Ouyahia, qui se croyait protégé par sa soudaine proximité avec le patronat, c’est un rappel à l’ordre.
Un bref rappel des faits s’impose. Le 23 décembre dernier, Ahmed Ouyahia signe la charte du partenariat public-privé avec le patronat et les syndicats. Ce document, attendu depuis longtemps, devait lui permettre d’inaugurer une nouvelle ère en cédant jusqu’à 34% du capital des entreprises publiques algériennes. Dans un contexte de crise, où l’on en est réduit à faire fonctionner la planche à billets pour financer le budget, cette perspective devait permettre de collecter de précieuses ressources exceptionnelles pour équilibrer les caisses du Trésor. Ravi, Ali Haddad, le puissant patron des patrons, se frottait déjà les mains.
"Elle constitue une avancée dans l'organisation du secteur économique en consacrant le principe de l'économie de marché", disait-il en commentant cette charte. Il voyait déjà les entreprises privées racheter des établissements publics pour une bouchée de pain. Ali Haddad, faut-il le rappeler, a été pour beaucoup dans le limogeage du prédécesseur d’Ahmed Ouyahia, en l’occurrence Abdelmajid Tebboune. En effet, ce dernier avait entamé une véritable purge contre les grandes entreprises privées algériennes. Un audit a été ordonné concernant tous les marchés de travaux publics, secteur de prédilection de Haddad.
Tebboune subira un sacré revers, quand le 30 juillet 2017, lors des funérailles de Réda Malek, Saïd Bouteflika affiche sa proximité avec Ali Haddad, mettant à l’écart le Premier ministre. C’est suite à cet épisode que Tebboune a été limogé, deux semaines après, le 16 août 2017.
Ouyahia croyait-il alors qu’en faisant plaisir à Haddad, il allait recevoir la protection du clan Saïd Bouteflika? La mesure que vient de prendre la présidence algérienne prouve le contraire et montre que l’actuel Premier ministre est, peut-être, sur la sellette.
Un site connu pour son chauvinisme et proche des généraux en a profité pour s’interroger sur le départ d’Ouyahia. Une interrogation qui a des airs de pronostic. "La question est de savoir si Ahmed Ouyahia, dont la politique économique semble être fortement contrariée par le président Bouteflika, va rester à la tête de l’Exécutif", écrit ledit site.
Quoi qu'il en soit, cette histoire de privatisation prend une tournure politique qui n'est certainement pas dans l'intérêt du Trésor public algérien. Car le premier à fustiger la charte du partenariat public-privé ne fut autre que Jamed Ould-Abbès, le chef du Front de Libération Nationale (FLN), pourtant allié du Rassemblement National Démocratique (RND) d'Ouyahia au pouvoir. Le FLN s'est ressaisi après avoir rencontré Ali Haddad, qui a sans doute su se montrer très convaincant. Mais après cette mini-tempête, le Premier ministre algérien est loin d'être sorti de l'oeil du cyclone.