Le paradoxe algérien: Bouhadja déclaré "incapable", là où Bouteflika est intouchable

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Le 18/10/2018 à 12h31, mis à jour le 18/10/2018 à 12h34

Paradoxalement, c'est Abdelaziz Bouteflika qui est maintenu à son poste de chef de l'Etat alors que son état de santé ne lui permet plus de gouverner. Said Bouhadja, le président de l'Assemblée nationale, quant à lui en bonne santé, a été déclaré incapable. Retour sur une grosse farce républicaine.

Alors qu'Abdelaziz Bouteflika, ne s'exprime plus, n'accrédite plus le corps diplomatique, ne bouge presque plus que par mimiques et par de rares gestes, il est maintenu à son poste. Pendant ce temps, Saïd Bouhadja, troisième personnalité de l'Etat dans l'ordre protocolaire, président de l'Assemblée nationale populaire, lucide et à même de se défendre comme un beau petit diable contre le complot ourdi par la majorité, a vu son poste déclaré "vacant" par le Bureau de l'APN. 

Paradoxalement, les arguments juridiques ne manquent pas contre Abdelaziz Bouteflika, alors qu'il y en a aucun qui milite rationnellement en la faveur de la destitution de Saïd Bouhadja. En effet, alors que le chef de l'Etat algérien est malade, usé, incapable de se mouvoir ou de parler, et surtout dans l'impossibilité de gouverner, la fonction continue d'être rattachée à sa personne par son entourage que l'on soupçonne de recourir à tous les moyens pour garder le contrôle.

Un de ses proches avait confié, il y a quatre ans déjà, que Bouteflika avait "des trous de mémoires, avait perdu l'usage de son bras" et qu'il ne "parlait presque plus" . Depuis, sa situation a empiré. Le peu de mobilité qu'il avait n'est plus qu'un vieux souvenir. Il est aujourd'hui incapable de commander sa chaise roulante et sa gestuelle inspire beaucoup de compassion. 

Le dernier vrai discours en public de Bouteflika, remonte au mois de mai 2012, à Sétif. Dix-huit mois plus tard, il avait été victime d'un accident vasculaire célébral qui l'avait cloué au lit dans sa résidence médicalisée, à Zeralda, à la périphérie d'Alger.

Son domaine de chasse attenant à la résidence, ne profite plus qu'à Saïd Bouteflika et ses amis. Ce sont eux qui tirent désormais les ficelles, et n'aimeraient surtout pas que la situation actuelle change. Ils se débarrassent désormais de toute personne pouvant gêner leur exercice du pouvoir. C'est ce qui explique aussi l'incroyable purge au sein des forces de défense et de sécurité qui a touché des dizaines de généraux, de hauts cadres de l'administration territoriale et même des magistrats. 

Concernant Bouteflika, depuis six longues années, une cinquantaine d'ambassadeurs ou de représentants diplomatiques attendent d'être accrédités par le président. Une situation extrêment grave, puisqu'un ambassadeur ne peut être considéré comme tel dans un pays étranger que s'il a présenté ses lettres de créance. Actuellement, les représentants des grandes puisances comme la France, l'Espagne, les Etats-Unis, la Belgique ou encore l'Espagne, attendent cette première audience qui ne viendra jamais. 

Pendant, ce temps, le système algérien s'est attaqué à Saïd Bouhadja, président de l'Assemblée nationale populaire et l'accuse d'avoir laissé son poste vacant après un coup de force des députés de la majorité, qui tentent de lui extirper une démission depuis trois semaines. Saïd Bouhadja a montré sa lucidité en exigeant que la démarche de la majorité frondeuse soit sous-tendue par des dispositions légales. Il a également montré qu'il comprenait mieux que quiconque ce qui faisait fonctionner l'exécutif.

Ainsi, quand la demande du Front de libération nationale (FLN) et du Rassemblement national démocratique ((RND), les deux partis de la majorité, s'est faite pressante, il a mis le système face à ses contradictions. "Que Bouteflika me demande de démissionner", leur a-t-il dit en substance. Or, tout le monde sait que seule une vraie mascarade fait croire que Bouteflika est encore aux commandes. Cette attitude n'a fait qu'irriter davantage ses détracteurs qui sont alors passés au coup de force.

Tout dans la démarche réfléchie de Saïd Bouhadja montre que l'homme est bien portant aussi bien mentalement que physiquement. Il a d'ailleurs fallu cadenasser la porte principale de l'Assemblée nationale pour l'empêcher d'accéder à son bureau durant deux jours. S'il s'était s'agi de Bouteflika, beaucoup moins d'efforts auraient suffi... 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 18/10/2018 à 12h31, mis à jour le 18/10/2018 à 12h34