Algérie: l’appel de Taleb, Ali Yahia et Benyelles fait réagir la classe politique algérienne

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Le 20/05/2019 à 14h18, mis à jour le 20/05/2019 à 14h19

L’appel lancé à l’armée hier, samedi 18 mai, par Taleb Ibrahimi, Yahia Abdennour et Benyelles, a fait réagir la classe politique. Cet appel a pour objectif d’ouvrir un dialogue avec les partis et les représentants du mouvement de contestation populaire pour régler la crise politique dans le pays.

Ali Yahia Abdennour, avocat et militant des droits humains, Ahmed Taleb Ibrahimi, ancien ministre, et Rachid Benyelles, général à la retraite, ont appelé, samedi dernier, 18 mai 2019, le commandement de l’Armée nationale populaire (ANP), Ahmed Gaïd Salah, à entretenir un dialogue "franc et honnête" avec des représentants du mouvement citoyen derrière les manifestations, des partis et des forces politiques et sociales qui soutiennent le mouvement.

L’objectif escompté? "Trouver au plus vite, une solution politique consensuelle en mesure de répondre aux aspirations populaires légitimes qui s’expriment quotidiennement depuis bientôt trois mois", déclarent-ils dans cet appel, transmis à la presse algérienne.

Cette lettre a suscité plusieurs réactions de la part de la classe politique algérienne et de la société civile. Des réactions globalement favorables.

C'est le cas de Ali Benflis, ex-chef du gouvernement algérien de 2000 à 2003 qui adhère aux principes de l’appel lancé par ces trois personnalités. 

Le président du parti de l'Avant-garde des libertés a présenté comme "autorités morales de notre pays" les trois personnalités, auteur de l'appel qui consiste à établir un dialogie direct entre l'armée et "des figures représentatives du mouvement citoyen (Hirak)".

“Leur appel mérite l’écoute attentive et la réflexion sereine. Il définit le cadre d’un règlement de la crise qui reste à notre portée et la voie à emprunter pour parvenir à un règlement rapide et définitif de la crise actuelle", a jugé Ali Benflis. “Cette voie est la plus sûre et la moins coûteuse pour notre pays”, a-t-il estimé.

Le président du parti Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Mohcine Belabbas, est quant à lui plus mesuré dans son soutien. Dans un entretien accordé à un média algérien, il se demande "est-ce que les militaires peuvent dialoguer directement avec l’opposition? Légalement, ils n’ont pas le droit de le faire. L’une des demandes de l’opposition est que les militaires s’occupent des questions sécuritaires. Cela dit, il y a un moyen de trouver des canaux pour entamer un dialogue. Les militaires peuvent être représentés par des civils. Tôt ou tard, il faudra dialoguer".

Belabbas estime qu’il existe un problème de différence de génération qui se pose entre celui des dirigeants, des opposants et des présents dans les manifestations populaires.

«Les vieux du pouvoir veulent discuter avec les vieux de l’opposition. Il est difficile de discuter lorsque la différence d’âge est importante. Maintenant, il faut bien dialoguer un jour. Mais, dialoguer autour de quoi et pour quels objectifs? Même par rapport à cela, il n’y a pas de consensus. Ils sont prêts à dialoguer du côté du pouvoir mais autour de l’élection présidentielle du 4 juillet 2019. Ils veulent d’une manière ou d’une autre sauver le système. Et l’essentiel des acteurs de l’opposition, ceux qui sont dans la rue, veulent entamer un dialogue pour se mettre d’accord sur une feuille de route qui nous permet de gérer une transition démocratique pour changer le système politique", explique-t-il.

L'occasion pour lui de souligner l'impossibiliter d’organiser l’élection présidentielle à la date du 4 juillet 2019. Il annonce toutefois que "le report de l’élection présidentielle ne règle pas le problème tant qu’on n’a pas mis en place des mécanismes qui garantissent une transition démocratique. Rien ne changera si on organise la présidentielle en juillet ou en septembre avec les mêmes lois, les mêmes dirigeants et les mêmes schémas d’organisation".

Pour sa part, Abdallah Djabballah, président du parti El Adala, considère que le devoir aujourd’hui est de trouver une solution cette crise politique pour "concrétiser les revendications du peuple".

Il ajoute qu’"au sein des Forces du changement [qui regroupe plusieurs partis, syndicats et personnalités, Ndlr], nous avons abordé toutes ces questions et appelé l’institution militaire à aider à la concrétisation de la solution qui répond à ce que le peuple exige. Pour cela, il faut passer par le dialogue".

Dans le même sens, Soufiane Djillali, président du jeune parti Jil Jadid, dans une vidéo postée sur sa page Facebook, a apporté tout son soutien à la proposition des trois personnalités d’ouvrir un dialogue direct entre l’ANP et l’opposition.

"Après que toutes les parties aient dit ce qu’elles avaient à dire, il est temps qu’un contact soit établi dans le cadre de ce que veut le peuple pour aller vers une solution finale. Aujourd’hui, l’institution militaire est aux devants de la scène et a entre les mains les clefs de la République. Elle doit accompagner le peuple pour concrétiser les solutions proposées. La société politique, partis, syndicats, universitaires, personnalités, doivent s’engager pour que chacun parle avec l’autre aux fins de présenter ces solutions au pouvoir, lequel doit répondre aux revendications du peuple", a-t-il martelé.

Au sein de la société civile, l’avocat Mustapha Bouchachi a pour sa part qualifié de positive l’initiative de Taleb Ibrahimi, Ali Yahia et Benyelles. Il a déclaré à la chaîne El Djazairia que l’appel "va dans le sens des revendications du hirak, de la classe politique et de la société civile, celles d’aller vers une période de transition".

De même, Abdelkader Bengrina, président du mouvement El Bina, a aussi, sur sa page Facebook, critiqué l’initiative en écrivant que le mouvement populaire n’a pas demandé de "période de transition".

Pour conclure, le président du mouvement El Bina s’est avancé en s’interrogeant sur le fait que s’"Ils disent que l’armée doit dialoguer avec les représentants du hirak, peuvent-ils nous dire qui sont ces représentants au niveau de toutes les communes du pays et comment les désigner?".

Seule voie discordante, le résistant Lakhdar Bouregâa, ancien commandant de la Wilaya IV historique, s’est montré très critique à l’égard des protagonistes Ahmed Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdenour et Rachid Benyellès.

"Les auteurs de cette initiative ont servi, depuis 52 ans, le système en place. Il faut passer le flambeau à la nouvelle génération. À nos jeunes. Ni moi, ni Ibrahimi ne pourrons être la solution de la crise", estime Bouregâa.

D'après Lakhdar Bouregâa, ces trois personnalités "n’ont jamais milité pour l’Algérie. Elles se contentent aujourd’hui de regarder de loin ce qui ce passe dans le pays, puisque d’après lui, elles ne sont jamais descendues dans la rue pour participer aux marches hebdomadaires des Algériens", a-t-il affirmé.

En tout état de cause, cette sortie intervient à un moment crucial de la vie politique algérienne. Dans ce même sillage, des sources concordantes s'unissent pour remettre en doute la tenue des élections présidentielles en Algérie prévues le 4 juillet 2019.

En effet, au lendemain de sa prise de fonction, le président par intérim Abdelkader Bensalah a annoncé mercredi 10 avril que l'élection présidentielle se tiendrait le 4 juillet 2019 en Algérie.

73 dossiers de candidatures ont été retirés du ministère de l'Intérieur, mais hier, dimanche, au 19 mai 2019, date butoir du dépôt, aucune candidature n'a été déposée.

L'Algérie se dirige-t-elle vers l'annulation des élections présidentielles du 4 juillet, qui étaient censées être les premières élections libres du pays depuis son indépendance en 1962?

Par Karim Ben Amar
Le 20/05/2019 à 14h18, mis à jour le 20/05/2019 à 14h19