Tunisie: un vote sans engouement pour élire les députés

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Le 06/10/2019 à 11h18, mis à jour le 06/10/2019 à 11h18

Les Tunisiens ont commencé à élire dimanche leurs députés lors d'un scrutin qui pourrait signer, dans le prolongement du premier tour de la présidentielle, un profond rejet des partis traditionnels, conduisant à un Parlement éclaté en une multitude de formations novices.

Signe visible de ce rejet: si, en 2011, lors des premières législatives après la révolution, les électeurs montraient fièrement leur doigt marqué d'encre, dimanche la plupart essuyaient prestement cette empreinte électorale. Ainsi, Mohamed Daadaa, 60 ans, a voté "sans aucun espoir d'un changement positif dans ce pays".

"Je n'ai confiance en personne et en aucun parti politique. La vie ne fait qu'empirer dans ce pays!", s'emporte-t-il.

"Les gens n'ont plus confiance dans les anciens partis, et ils ne connaissent pas les nouveaux donc ils ne sont pas motivés par ce scrutin", a estimé un jeune observateur de l'organisation tunisienne Mourakiboun, Ali Rekiki.

Ces troisièmes législatives depuis 2011 sont en outre éclipsées par une présidentielle à suspense, pour laquelle deux candidats en rupture avec les élites politiques restent en lice pour le second tour de dimanche prochain: Kais Saied, un juriste sans structure partisane, et Nabil Karoui, fondateur du mouvement Qalb Tounes ("Coeur de la Tunisie") et actuellement en prison.

Elles sont pourtant cruciales dans le berceau du Printemps arabe, où le Parlement est chargé des questions préoccupant le plus les Tunisiens: l'économie qui peine à décoller, le chômage bien ancré, les services publics défaillants et l'inflation.

Les sept millions d'électeurs sont appelés aux urnes jusqu'à 18H00 (17H00 GMT), et les résultats préliminaires sont attendus mercredi.

Mais, comme pour le premier tour de la présidentielle le 15 septembre, des sondages devraient donner une première tendance dès dimanche soir.

Trois semaines après ce premier acte du scrutin présidentiel qui a balayé les dirigeants sortants, les sondages officieux évoquent l'arrivée d'une vague d'indépendants, qui représentent un tiers des listes en lice, et de nouveaux partis.

Plus de 15.000 candidats se disputent 217 sièges, dans un Parlement jusque-là dominé par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, qui avait conclu il y a cinq ans une alliance contre-nature avec le principal parti du centre, Nidaa Tounes, depuis décimé par les luttes de pouvoir.

Ennahdha est à ce jour en perte de vitesse et au coude-à-coude avec Qalb Tounes, créé il y a moins de six mois par M. Karoui, un homme d'affaires controversé issu de Nidaa Tounes.

Sous le coup d'une enquête depuis 2017 pour blanchiment et fraude fiscale, le fondateur de la chaîne Nessma TV est en détention depuis fin août, une affaire qui a largement focalisé l'attention des Tunisiens.

La date de son arrestation, peu avant la campagne présidentielle, et ses modalités juridiques, ont alimenté des soupçons d'instrumentalisation de la justice. Les partisans de M. Karoui ont réclamé un report du second tour de la présidentielle.

Signe de l'inquiétude grandissante autour de l'issue de ces scrutins cruciaux pour consolider les acquis démocratiques, le président par intérim Mohammed Ennaceur a souligné vendredi que l'incarcération d'un candidat pourrait avoir de "graves" répercussions.

L'ONU a appelé à des élections "pacifiques et transparentes".

Un bon score de Qalb Tounes aux législatives pourrait être un atout pour Nabil Karoui dimanche prochain. M. Saied n'a lui donné aucune consigne de vote pour dimanche, une position qui participe à brouiller un paysage politique sans clivage clair.

Face à l'exaspération de l'électorat lassé des basses manoeuvres politiciennes, nombre de formations ont tenté de présenter des visages nouveaux, tel le mouvement Aïch Tounsi, issu de la société civile.

Un autre nouveau venu, la coalition Karama menée par l'avocat islamiste populiste Seifeddine Makhlouf tente de concurrencer Ennahdha, qui a perdu une partie de son électorat --le score du chef historique Rached Ghannouchi à Tunis sera scruté.

A l'autre extrémité, le Parti destourien libre, porté par l'avocate anti-islamiste Abir Moussi, pourrait faire un meilleur score que les 4% de sa chef de file au premier tour de la présidentielle.

Cet émiettement, alors que le parti arrivé en tête devra convaincre au moins 109 députés pour former un gouvernement, augure de houleuses négociations.

Les partis donnés en tête, Ennahdha et Qalb Tounes, ont officiellement exclu toute alliance entre eux.

Le parti arrivé en tête disposera de deux mois pour dégager une majorité au Parlement, le nouveau président de la République n'intervenant qu'en cas de blocage au terme de cette période.

Une fois formé, le gouvernement aura la lourde tâche de relancer l'économie et de résorber une dette paralysante: si la menace terroriste n'est plus un sujet majeur, quatre ans après une série d'attentats meurtriers, la transition démocratique reste fragilisée par les difficultés sociales persistantes.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 06/10/2019 à 11h18, mis à jour le 06/10/2019 à 11h18