Alors que l'Algérie compte quelque 483 décès sur les 2.058 de tout le continent, soit près du quart des victimes en Afrique, le régime semble en tirer parti, en voyant son pouvoir se renforcer au fil de ce décompte macabre. En tout cas, c'est la conclusion qui se dégage de l'analyse que vient de publier la chercheuse José Garçon, de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, sous le titre "Algérie: le Covid-19 à la rescousse des généraux".
Dans une interview accordée à Radio France Internationale, elle explique, en effet, que "Pour le régime algérien, il y a une chose qui compte plus que toute autre, c’est de régler ses problèmes et pas forcément ceux du pays". Or, si l'élection de décembre 2019 a été un nouveau "passage en force" du régime, elle ne lui a pas été d'une grande utilité pour "mettre fin au Hirak, ce mouvement populaire de contestation, qui exige un changement de système depuis plus d’un an."
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Mais, selon José Garçon, "un fléau moyenâgeux, le Covid-19, a permis –en tout cas momentanément– ce que le régime n’osait même plus espérer, à savoir de mettre fin à ces fameuses marches hebdomadaires qui exigeaient que tout le régime s’en aille. C’est dans ce sens que le Covid-19 est une aubaine pour le régime qui espère bien que cet épisode va briser l’élan de ce mouvement populaire".
Répression sans limite
Sauf que le caractère pernicieux du régime algérien est sans limite. La trêve sanitaire du Covid-19 est pour lui du pain béni, mais il ne saurait s'en contenter. C'est pourquoi, la machine de la répression est remise en route et tourne comme jamais auparavant, "pour casser tout et tous ceux qui pourraient faire redémarrer le mouvement à l’issue de cet épisode épidémiologique", dénonce la chercheuse qui établit une liste exhaustive.
Ainsi, la presse fait-elle l'objet d'une censure ayant abouti à faire taire trois médias en ligne. Tous les "récalcitrants" du Hirak sont systématiquement muselés, soit en les jetant en prison soit en les intimidant, qu'ils "soient des journalistes, des activistes politiques ou des militants". Tout est donc mis en œuvre pour que le Hirak ne redémarre pas après la pandémie.
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Mais, selon la chercheuse, un second objectif se cache derrière cette répression: "cacher les défaillances du système de santé" parce que "l’on craint que la défiance des Algériens ne tourne à la colère, si le manque de moyens est trop visible et si les journalistes rendent trop visible ce manque de moyens".
Heureusement pour les généraux et les caciques algériens, la solidarité a compensé en bonne partie les carences du régime. Avec des courses gratuites offertes par les chauffeurs de taxi aux médecins, des repas gratuits apportés aux malades par des entreprises.
Suicide du régime
Sauf que ceux qui gèrent l'Algérie d'une main de fer ne sont pas dupes. "Demain, effectivement, il y a le risque que la défiance ne se transforme en véritable colère. Et ce risque est d’autant plus fort, qu’il n’y a plus aujourd’hui d’argent pour acheter la paix sociale", affirme José Garçon.
"L’Algérie est de tous les pays pétroliers, sans doute, le pays le plus dépendant du prix du baril. Un chiffre indique parfaitement la difficulté économique dans laquelle se trouve le pays. Ses réserves de change qui ont littéralement fondu sont passées de 250 milliards de dollars en 2014, à 60 milliards de dollars, aujourd’hui. Or, 60 milliards de dollars, c’est à peine un peu plus d’une année d’importation. Et quand on sait que l’Algérie vit essentiellement sur les importations, on comprend qu’on va effectivement dans une zone de tempête économique sérieuse", analyse la chercheuse.
En ne pensant qu'au court terme, le régime algérien est en train de se tirer une balle dans le pied. En effet, poursuit José garçon, il est "persuadé que son problème est de casser le Hirak, mais il ne réalise pas qu’en cassant le Hirak, il casse toute possibilité d’établir la moindre confiance avec la population et que dans la situation actuelle, c’est un suicide".