Un nouveau crime contre les Subsahariens à mettre sur le compte des autorités algériennes, deux mois après l’horrible expulsion de fin mars vers le Niger qui en avait tué plusieurs migrants. Cette fois, les circonstances de ces meurtres commis par l’armée algérienne restent floues. Mais, malgré un modus operandi qui diffère, il est constant que les auteurs de tels crimes jouissent d’une parfaite impunité qui explique leur macabre fréquence.
Après le meurtre de l'orpailleur mauritanien, les Soudanais sur la liste
Cette fois, les faits se seraient déroulés à la frontière avec le Mali, le sol jonché de pierres qu’on voit dans la vidéo est caractéristique des regs de l’Adrar de cette zone, qui diffèrent légèrement des déserts sablonneux vers Tamanrasset. Dans la zone, il y a des petites communautés d’orpailleurs soudanais qui sont aussi bien au nord du Mali, au nord de la Mauritanie qu’au sud de l’Algérie. Il pourrait donc s’agir de victimes issues de ces migrants. Il y a une dizaine de jours, un orpailleur mauritanien avait d'ailleurs été tué par l'armée algérienne.
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En tout cas, l’auteur de la vidéo, entouré par plus d’une dizaine de migrants enturbannés à la manière des Soudanais, accuse clairement les Algériens de les avoir tués. Même s’ils ne citent pas directement l’armée algérienne, il reste clair que rien ne se fait dans la zone sans avoir l’onction du commandement de la sixième région militaire du pays qui couvre l’Adrar et Tamanrasset.
"Ce sont tous des Soudanais, musulmans. Ce sont de simples migrants tués par les Algériens. Un musulman qui tue un musulman sans aucune raison. Dieu interdit à un musulman de tuer un musulman. Je suis un Soudanais du Darfour, j'a fait mes études à l’université africaine de Khartoum, et j'ai migré au Mali avant de rejoindre le sud algérien. Je demande aux Algériens d’avoir peur de Dieu", se désole-t-il.
Deux mois auparavant, le convoi de la mort vers Tamanrasset
Ce n’est là qu’un énième scandale qui risque malheureusement de finir en simple statistique comme c’est le cas chaque fois que le autorités algériennes veulent dissuader les migrants subsahariens de tenter l’aventure à travers ce pays aux frontières de l’Europe.
Il y a deux mois, pratiquement jour pour jour, Le360 Afrique révélait un scandale similaire, voire pire que ces récents meurtres et, depuis, aucun pays d’Afrique subsaharienne ne s’en est indigné. Le jeudi 25 mars 2021, lors de l’expulsion de migrants à bord de 82 autocars vers Tamanrasset, un grave accident surviendra. Les images insoutenables avaient été diffusées. Mais, contre toute attente, les autorités algériennes vont exiger que le convoi poursuive son trajet.
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De tels faits ne peuvent pas échapper aux responsables gouvernementaux algériens, notamment à la présidence, au ministre de l’Intérieur ou encore celui des Affaires étrangères, ou au chef d’état-major. Cependant, le silence qui les entoure montre qu’à bien des égards, ils les assument parfaitement, comme cela a toujours été le cas lors des dernières années où certains n’ont pas hésité à mêler un discours haineux à ces actes.
Politique de la haine et du crime assumée au sommet de l'Etat
Tellement de fois, les autorités algériennes ont été prises en flagrant délit de discours haineux à l’égard des Subsahariens, qu'il ne subsiste plus aucun doute sur le caractère assumé de ces dérives au plus haut sommet de l’Etat.
En 2016, alors qu’Alger venait d’organiser une grande rafle de Subsahariens, qualifiée par les ONG de "plus grande chasse à l’homme noir" depuis l’indépendance, un conseiller de la présidence en matière de droits de l’homme en profitait pour insulter les ressortissants des pays africains résidant en Algérie. Farouk Ksentini, puisque c’est de lui qu’il s’agit, avait alors dit que "nous (les Algériens) sommes exposés au risque de propagation du Sida, ainsi que d’autres maladies transmissibles à cause de la présence de ces migrants".
Le pire, c’est qu’après avoir tenu de tels propos dans un quotidien arabophone, Assawt al Akhar en l'occurrence, ce proche d’Abdelaziz Bouteflika, alors chef de l’Etat, avait renchéri. Quelques jours plus tard sur le site Tout sur l’Algérie, il déclarait: "La présence des migrants et des réfugiés africains dans plusieurs régions du pays peut causer plusieurs problèmes aux Algériens". Et d'ajouter: "Ces maladies sont considérées comme quelque chose d’habituel et de normal par cette communauté".
Comme si cela ne suffisait pas, il avait poursuivi, le visage empli de haine: "J’ai dit la vérité, ces migrants ont été porteurs de beaucoup de maladies en Algérie". La réalité, c’est que le racisme est une politique d’Etat de l’Algérie, comme l’atteste une série d’actes et de décisions des autorités.
Après cette "chasse à l’homme noir" menée par le gouvernement du Premier ministre Abdelmalek Sellal, en décembre 2016, avec 2.000 migrants parqués dans des centres, avant d’être jetés dans le désert, ce ne sera guère mieux sous ses successeurs, y compris après la chute de Bouteflika. Bien au contraire.
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Les mesures et actes xénophobes contre les Subsahariens, cautionnés par les officiels, se sont même intensifiés. En juin 2017, cette haine contre les migrants s’était propagée sur les réseaux sociaux avec une campagne de hashtags racistes, #NonauxAfricainsenAlgérie, #Nettoyerlesvilles, qui avait provoqué l'indignation de certains intellectuels, des médias, des responsables des droits de l’homme, d'ONG et des citoyens algériens.
Ainsi, le 9 juillet 2017, Ahmed Ouyahia, ministre d’Etat et surtout directeur de cabinet du président algérien Abdelaziz Bouteflika, faisait des déclarations scandaleuses, décrétant que "ces étrangers en séjour irrégulier amènent le crime, la drogue et plusieurs autres fléaux", avant d’ironiser en ajoutant: "On ne dit pas aux autorités, jetez ces migrants à la mer ou au-delà des déserts".
Le message est clair: cibler les Subsahariens
Pour les Algériens, aucun doute, le message était venu d’"en haut", sachant qu'Ouyahia était considéré comme l’un des hommes les plus proches de Bouteflika à l’époque, comme l’était d’ailleurs Ksentini. Juste après les propos scandaleux d’Ouyahia, c’était au tour du futur ministre des Affaires étrangères, l’inénarrable Abdelkader Messahel, de demander, le 11 juillet, au gouvernement algérien des "mesures urgentes" face au "flux de migrants subsahariens". Nommé au poste de Premier ministre, Ouyahia obtient "carte blanche", si ce n’est l’ordre de mission, pour peaufiner et exécuter sa "solution finale": plus de migrants subsahariens en Algérie, légaux ou illégaux. Et, depuis, régulièrement, les migrants subsahariens ont fait l’objet de persécutions et d’expulsions massives vers le Niger et le Mali voisins. En réalité, après avoir été arrêtés dans les villes du pays ou avoir subi la violence, clairement guidée, de la population, les Subsahariens sont purement et simplement jetés dans le désert, malgré les dénonciations et les protestations régulières des ONG de défense des droits de l’homme et des Etats africains. Au cours des cinq dernières années, la méthode n’a pas changé: rafle des migrants, regroupements dans des camps et finalement direction le désert du Sahara.
Car, une fois à Tamanrasset, située à près de 2.000 km au sud d’Alger, ils doivent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres à pied dans le désert pour espérer arriver au premier village nigérien, situé après la frontière algérienne. Affamés, déshydratés, nombreux sont ceux qui n’y arrivent pas.
La politique de xénophobie d’Etat avait poussé les autorités algériennes à bannir purement et simplement les Subsahariens des transports interurbains reliant certaines villes en 2017. Au cours des deux dernières années, même si le Hirak algérien a fait oublier le drame de migrants subsahariens, rien n'a véritablement changé.