Algérie: les faux chiffres des contagions à l’épreuve de la saturation des hôpitaux

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Le 06/01/2022 à 13h59, mis à jour le 06/01/2022 à 14h01

Les responsables d'unités hospitalières tirent la sonnette d’alarme sur le début de saturation de celles dédiées au Covid-19. Une situation alarmante loin d’être reflétée par les chiffres sur les contaminations quotidiennement annoncés par les autorités. Décryptage d'un bidouillage des chiffres.

Les responsables sanitaires algériens multiplient les annonces sur la saturation de nombreuses unités hospitalières à cause de la recrudescence des cas de Covid-19. Pourtant, les données quotidiennes distillées par le ministère de la Santé ne font état que de faibles nombres de contagions. Une situation qui illustre la sous-estimation des contaminations dans le pays, comme c'est le cas depuis l’apparition de la pandémie.

A titre d’illustration, les données quotidiennes se situent, depuis l’annonce du nouveau variant Omicron, autour des 400 cas quotidiens. Durant les dernières 24 heures, ils auraient été 462. On note une augmentation linéaire des contagions avec en moyenne 50 nouveaux cas par jour. Rien d’alarmant à ce niveau.

Seulement, ces chiffres sont très loin de la réalité, du fait de la quasi absence de tests, mais aussi du fait que de nombreux porteurs du virus du variant Omicron ne sont pas détectés par les unités sanitaires du pays. D’ailleurs, si on se fie aux déclarations des autorités qui avancent un cumul de 16 cas du variant Omicron seulement enregistrés dans le pays, on comprend clairement que les données algériennes sont fortement biaisées.

A titre de comparaison, au Maroc et en Tunisie, des pays qui affichent des taux de vaccination respectifs de 62,4% et 50,8% (contre 11% pour l’Algérie), ont enregistré, durant les dernières 24 heures, respectivement 5.618 et 2.302 nouveaux cas et 2.640 et 1.327 cas enregistrés en moyenne quotidienne durant les 7 derniers jours, contre 395 en Algérie. Même la Mauritanie, avec 10 fois moins d'habitants a affiché 1.149 nouvelles contaminations durant les dernières 24 heures.

Dès lors, on doit s'interroger sur l'origine de cette «exception algérienne». En réalité, le nombre de contaminations en Algérie relèvent d'une politique de bidouillage des chiffres initiée par les autorités depuis le début de la pandémie du Covid-19. 

Et pour le Pr Kamel Djenouhat, chef du service immunologie à l’hôpital de Rouïba, dans un entretien au site d'information TSA, avance qu’«il faut au moins multiplier ces chiffres par cinq ou six». Et ce du fait que la plupart des malades ont des formes bénignes et ne font que des tests antigéniques et que nombre de tests PCR réalisés au niveau de beaucoup de laboratoires privés ne sont pas comptabilisés du fait que ces institutions ne sont pas homologuées par l’Institut Pasteur d’Algérie.

Autre indicateur qui montre que les chiffres avancés sont loin de coller à la réalité, les responsables d’unités sanitaires alertent déjà sur le début de saturation des services Covid-19. Ainsi, selon Dr Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialisés de la santé publique (SNPSSP) et chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de Boufarik, à l’ouest d’Alger, «au niveau de l’hôpital, il y a un mois, nous étions à 10% des lits occupés, maintenant, nous sommes à plus des deux tiers des lits occupés. Les choses s’accélèrent, notamment dans les grandes villes comme Alger et Oran».

D’autres indicateurs viennent démontrer un manque de cohérence au niveau des données algériennes. En effet, selon les chiffres officiels, l’Algérie compte un cumul de 220.415 cas, 151.347 guérisons et 6.310 décès depuis l’apparition de la pandémie. Des chiffres très loin de la réalité. En effet, on note que plus de 60.000 personnes sont des cas encore actifs. Seulement, en faisant le cumul des nouvelles contagions depuis un mois, en supposant que les personnes contaminées durant toute cette période ne sont pas encore guéries, on serait très loin de ce chiffre.

Même à raison de 400 nouvelles contaminations par jour durant un mois, on se retrouverait uniquement avec 12.000 cas actifs, si on n'enregistre aucune guérison et aucun décès durant cette période. Et en tenant compte du nombre total des personnes hospitalisées à cause du Covid-19, on tourne autour de 16.000 personnes. Mieux, selon des chiffres du ministère de la Santé, entre le 1er et le 25 décembre dernier, 5.000 personnes seulement ont été contaminées. Comment expliquer alors ce faible taux de guérison sachant que, hormis les cas graves nécessitant des hospitalisations, les personnes contaminées guérissent généralement au bout de 2 à 3 semaines? Ce chiffre ne peut s’expliquer que par un nombre élevé de personnes contaminées actuellement et qui ne sont pas répertoriées au niveau du décompte du ministère de la Santé.

Ainsi, en dépit des chiffres officiels très bas des contagions quotidiennes, la situation épidémiologique inquiète les experts sanitaires algériens. Ils sont tous, très préoccupés par l’ampleur des hospitalisations dans les structures sanitaires du pays, dont le nombre est passé de 3.000 à 4.000 au niveau national, en une semaine.

Ce qui inquiète les spécialistes, c’est que le pic de la 4e vague de contamination n’est pas atteint, alors que de nombreuses structures sanitaires dédiées au Covid-19 sont au bord de la saturation. L’autre inquiétude est que les contaminations en Algérie sont encore dominées par le variant Delta, beaucoup plus dangereux que le variant Omicron qui s’est propagé un peu partout dans le monde.

Ainsi, pour Pr Kamel Djenouhat, «le mois de janvier sera parmi les plus durs depuis le début de la pandémie en Algérie», expliquant que le pays devrait faire face à une 5e vague avec un cumul des contagions des variants Delta et Omicron.

En attendant, le corps médical algérien continue de payer un lourd tribut. En deux jours, 4 praticiens sont décédés du Covid-19. Il faut dire que le personnel de la santé algérienne n’a pas donné le bon exemple. En effet, 20 à 25% du personnel de santé n’ont pas été vaccinés et deviennent rapidement un facteur de contagion au Covid-19. Dans certaines unités sanitaires, ils sont même plus de la moitié.

Et en ce qui concerne la vaccination générale, selon les dernières données du ministère de la Santé, l’Algérie a atteint un taux de 28% de la population cible. Un pourcentage qui reste très faible, selon l’aveu même du ministre de la Santé. Ce taux ne dépasse pas le seuil de 11% de la population totale algérienne. Toutefois, ce chiffre manque de clarté en ce sens que les autorités ne précisent pas le nombre de personnes totalement vaccinées.

Pourtant, les vaccins ont montré leur efficacité. Ainsi, au niveau des hospitalisations au Covid-19, «nous sommes à 90% de non-vaccinés contre 10 à 8% de vaccinés», explique Pr Kamel Djenouhat. Et selon le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, 94% des personnes décédées du Covid-19 au cours du mois dernier n’étaient pas vaccinées et sur les 5.000 personnes atteintes du Covid-19 entre le 1er et le 25 décembre, 81% n’étaient pas vaccinés. Quant aux patients en soins intensifs sous appareils respiratoires, c'est la totalité qui n'est pas vaccinée. Autre preuve que les chiffres algériens sont manipulés, si on les compare avec ceux des pays qui ont beaucoup plus vacciné, à l’instar du Maroc et de la Tunisie, pour rester au niveau de la région. Malheureusement, ce bidouillage des chiffres sur les contagions n'encourage pas la population à se faire vacciner, croyant bénéficier d'une protection «naturelle» contre le Covid-19, comme en atteste les faux chiffres des autorités. 

Par Karim Zeidane
Le 06/01/2022 à 13h59, mis à jour le 06/01/2022 à 14h01