Quelques mois seulement après la chute du président Robert Mugabe, la troupe du Theatre in the Park de Harare a fait salle comble pendant trois soirs avec un pamphlet décapant sur les derniers jours de l'ancien régime.
A la surprise de ses auteurs, la pièce de théâtre a jusqu'à présent été tolérée par les nouvelles autorités du pays. Elle a surtout été accueillie comme une bouffée d'air frais par le public.
"C'est hilarant", se réjouit un spectateur, Trevor Chisvo, un enseignant de 26 ans. "C'est drôle que l'on puisse s'amuser d'événements qui auraient pu devenir violents."
Pendant les 37 ans de son règne de fer, rire du "camarade Bob" était réprimé comme un crime de lèse-majesté.
Au début des années 1990, le dramaturge Denford Magora avait dû prendre la fuite pour échapper à la sécurité d'Etat, venue l'arrêter à son domicile. Sa pièce "Dr. Government" mettait en scène le pouvoir en la personne d'un médecin en charge d'un malade à l'article de la mort appelé Zimbabwe...
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Un autre spectacle raillant la cour de flagorneurs de l'ancien chef de l'Etat avait été purement et simplement interdit.
Le ciel culturel du Zimbabwe semble s'être éclairci depuis que le rideau est tombé sur l'ère Mugabe. Son heure a sonné en novembre dernier, lorsque l'armée a pris nuitamment le contrôle des sites stratégiques de Harare, la capitale du pays.
"Vous n'oseriez pas..."
A la tête de l'opération, le chef d'état-major, le général Constantino Chiwenga, a expliqué être intervenu pour empêcher la fantasque et autoritaire Grace Mugabe de prendre, le moment venu, la succession de son mari nonagénaire.
Sous la menace d'une procédure de destitution par son propre parti, la Zanu-PF, et d'une vague de manifestations de rue inédite, Robert Mugabe n'a eu d'autre choix que de jeter l'éponge.
La pièce "Opération +rétablir regasi+" replonge le spectateur au coeur de ces dix jours historiques, recréés dans l'unique décor du "Toit bleu", l'opulente résidence privée des époux Mugabe.
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Elle raconte la montée des tensions entre Grace et les généraux et le limogeage, sur insistance de la Première dame, du vice-président Emmerson Mnangagwa, le dauphin pressenti de Robert Mugabe. Une décision qui a précipité la chute du régime.
"Prenez donc vos armes et donnez l'ordre à vos soldats de me tirer dessus!", lance dans la pièce Grace Mugabe, célèbre pour ses colères et ses foucades, à un galonné. "Même si on vous donnait une arme, vous n'oseriez pas tirer..."
Le scénario décrit ensuite les quelques jours où le couple a été placé en résidence surveillée par les généraux. "Je ne peux rien faire, même la police a été arrêtée", soupire un Robert Mugabe que l'auteur se plait à montrer en vieillard somnolent, totalement dépassé par les événements.
Bon présage
"Qui a viré Mnangagwa ?", se demande-t-il à voix haute dans une autre scène, oubliant manifestement qu'il a lui-même relevé de ses fonctions celui qui a aujourd'hui pris sa succession. "Nous sommes finis, Grace", conclut le président, effondré.
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Le metteur en scène Charles Munganasa dit avoir voulu retracer les événements le plus fidèlement possible. "L'histoire de Robert Mugabe sera transmise aux générations futures", explique-t-il, "j'ai donc choisi de faire un documentaire de théâtre."
L'artiste avoue aujourd'hui avoir redouté l'entrée de son pays dans l'ère post-Mugabe. "J'étais terrifié", reconnaît M. Munganasa, "je me demandais ce que serait l'avenir du Zimbabwe".
Comme lui, l'acteur et metteur en scène Daves Guzha, qui dirige le Theatre in the Park, est plutôt rassuré. Les nouvelles autorités du pays n'ont pas interdit la pièce, observe-t-il, ce qui selon lui "augure plutôt bien de l'avenir du Zimbabwe".
Le titre de l'oeuvre n'a pas non plus fait froncer les sourcils des nouveaux maîtres du pays.
Il moque pourtant le défaut de prononciation de l'ex-chef d'état-major devenu vice-président du pays, le général Chiwenga, qui prononce les L comme des R. L'opération "rétablir la loi" - "restore legacy" en anglais - menée par ses troupes est devenue pour le spectacle l'opération "rétablir regasi".
"Peut-être que la liberté d'expression va se développer, il faut absolument conserver cet élan", dit Daves Guzha, "il faut continuer à repousser les limites avant que le pouvoir ne s'avise de nous dire +Stop, ça suffit+".
Nouveau petit signe positif: la pièce a rempilé pour trois représentations en avril. En toute liberté.