C’est au lendemain de la crise alimentaire de 2008, suite à l’envolée des prix des produits agricoles qui ont entraîné de violentes émeutes de la faim dans de nombreux pays en développement, que le phénomène d’accaparement des terres agricoles a pris une nouvelle dimension. De nombreux pays ont senti le besoin de sécuriser leur approvisionnement en produitsagricoles en investissant dans les pays disposant d’immenses terres arables.
Du coup, c’est une véritable ruée vers les terres arables africaines. Entre 2000 et 2010, ce sont ainsi 5% de l’espace cultivable du continent africain qui ont été concédés à des investisseurs étrangers via des cessions ou des locations de très longues durées de 15 à 99 ans.
Et pour les pays investisseurs, la logique d’investissements n’est pas la même. Si les Chinois, Indiens, Coréens du Sud et monarchies du Golfe sont surtout à la recherche de terres agricoles pour faire face à leurs besoins croissants en production alimentaire, les pays occidentaux sont surtout intéressés par les opportunités de production de biocarburants. En plus de cela, il ne faut pas oublier les investisseurs (fonds d’investissement, spéculateur, etc.) qui considèrent les terres agricoles africaines comme de simples placements acquis presque gratuitement mais qui peuvent rapporter gros dans les années à venir.
Dans cette ruée, certains pays sont particulièrement ciblés par les investisseurs. Il s’agit globalement de pays ayant d’importantes terres agricoles et ne disposant pas de ressources et de politiques agricoles pour les exploiter.
Ainsi, dans une récente étude de Thinking Africa, un Institut de recherche et d’enseignement sur la paix, créée en 2013 par une équipe de chercheurs et d’experts africains, montre que cinq pays du continent se distinguent en matière de cession de terres agricoles. Il s’agit de Madagascar, Ethiopie, RD Congo, Tanzanie et Soudan.
1- Madagascar: malgré la chute d’un président, les cessions continuent
Avec plus de 3,7 millions d’hectares cédés ou loués sur de très longues périodes, Madagascar est incontestablement le leader en matière de cession de terres agricoles aux étrangers sur le continent africain. C’est d’ailleurs l’un des pays les plus ciblés par les investisseurs étrangers, notamment asiatiques. Le pays dispose de 36 millions de terres cultivables, mais à peine le dixième est exploité.
Du coup, ces cessions de terres sont considérées comme un moyen de développer l’agriculture malgache, de la moderniser et surtout de créer des emplois.
Toutefois, ces ventes de terres sont souvent sources de tension. D’ailleurs, en 2008, la découverte d’une transaction portant sur la location de 1,3 million d’hectares pendant 99 ans au groupe sud-coréen Daewoo Logistics avait provoqué la colère des Malgaches et contribué à la chute du président d’alors, Marc Ravalomana, début 2009. Toutefois, le géant sud-coréen est revenu à la charge avec l’objectif de cultiver du maïs et d’y implanter des palmiers à huile pour la production d’hydrocarbures destinés entièrement à être exportés en Corée du Sud.
La tâche des investisseurs étrangers est aujourd’hui facilitée par des entreprises locales qui achètent en masse des terres avant des les louer aux entreprises étrangères.
2– Ethiopie: après les cessions sauvages, l’Etat revoit sa politique
Derrière Madagascar, il y a l’Ethiopie qui arrive en seconde position avec 3,2 millions d’hectares de terres agricoles cédées à des investisseurs étrangers. Le pays est l’une des premières destinations pour les investisseurs qui cherchent à acquérir de vastes étendues de terres à bas prix tout en bénéficiant des incitations fiscales et des services de soutien dans le cadre du Growth and transformation plan (GTP).
Dans ce cadre, la société indienne Karuturi global LTD s’est vu attribuer quelque 300.000 ha et quelque 500.000 ha ont été octroyés à d’autres firmes au nom de ce programme. Outre ces entreprises étrangères, le richissime homme d’affaires saoudien d’origine éthiopienne, Mohammed Al Amoudi, aurait acquis 500.000 ha de terres agricoles pour produire de l’huile, sucre, blé, riz, etc. Des terres acquis au détriment des populations indigènes qui ont été déplacées créant des frustrations.
Ainsi, des centaines de milliers d’hectares de la vallée de l’Omo, une des régions les plus fertiles et les plus importantes pour l’approvisionnement en eau, ont été octroyées à des compagnies malaisiennes, indiennes, italiennes, coréennes, saoudiennes, américains, etc. Ces firmes étrangères produisent du coton, des produits agricoles et des hydrocarbures destinés à l’exportation, etc.
Ces cessions s’accélèrent alors que le pays, à l’instar de ceux de la région, connaît des crises alimentaires chroniques depuis plusieurs décennies. Pire, les cessions de ces terres, contrairement aux informations fournies par le gouvernement, sont aujourd’hui dénoncées par des ONG comme Survival International, du fait qu’elles aggravent la famine dans la corne de l’Afrique.
D’ailleurs, même le gouvernement éthiopien a revu sa politique après avoir constaté que les résultats escomptés n’ont pas été au rendez-vous. Désormais, outre la limitation de la taille des terres attribuées aux investisseurs, l’Etat compte récupérer celles qui ont été cédées mais non développées. Ainsi, depuis 2013, les terres à louer ou à céder aux investisseurs étrangers ne pourront plus dépasser 5.000 ha par projet et la priorité sera accordée aux investisseurs locaux avec un maximum de 3.000 ha par projet.
3- RD Congo: la plus grande exploitation mondiale de l’huile de palme
Après la ruée vers le secteur minier qui a connu une véritable razzia, désormais, ce sont les importantes terres agricoles de la République démocratique du Congo qui font l’objet d’une véritable ruée des investisseurs étrangers, notamment chinois. Selon les données Thinking Africa, les terres cédées ont atteint 2,8 millions d’hectares. Il s’agit de terres cédées à la compagnie chinoise ZTE international, très active dans l’achat de terres agricoles en Afrique. Les Chinois y développent la plus grande exploitation mondiale d’huile de palme dans l’optique de produire des biocarburants.
Toutefois, selon de nombreuses sources, les terres agricoles cédées par la RD Congo dépassent de très loin ce chiffre. Seulement, à l’instar du secteur minier, il y a une véritable opacité dans ce domaine.
La RD Congo dispose de plus de 120 millions d'hectares de terres cultivables et seulement 10% de celles-ci sont aujourd’hui exploités.
4– Tanzanie: des terres cédées mais peu d’investissement
En Tanzanie, la surface globale de terres agricoles cédées dépasse les 2 millions d’hectares, sur un total de 44 millions d’hectares de terres cultivables. La compagnie suédoise BioMassive AS et le néerlandais BioShape ont ainsi signé en 2007 des baux de respectivement 66 ans et 50 ans pour des superficies respectives de 55.000 ha et 81.000 ha, pour produire des hydrocarbures.
La plus grosse transaction a été scellée avec l’américain AgriSol Energy avec une cession de 300.000 ha pour produire du maïs, sucre, soja, sorgho, biocarburants, etc.
Ce projet a entraîné le déplacement de quelque 160.000 personnes. Toutefois, l’entreprise américaine n’a pas respecté ses engagements d’investissements. Cette situation a poussé le gouvernement tanzanien à afficher sa volonté de reprendre aux investisseurs étrangers des terres insuffisamment développées.
En plus, désormais, tout investisseur qui souhaite disposer de terres agricoles doit présenter un projet d’investissement sain. A travers ces initiatives, le gouvernement tanzanien essaye de limiter la spéculation que pratiquent les «banquiers fonciers» qui achètent de vastes étendues de terres agricoles pour les revendre à des prix élevés.
Mieux, à l’instar de l’Ethiopie, sous la pression des ONG et de l’impact sur le plan alimentaire des terres cédées, le gouvernement tanzanien limite à 5.000 ha la vente ou la location de terres dédiées à la culture du riz et 10.000 ha pour le sucre et les biocarburants.
5– Soudan: terres privilégiées des monarchies du Golfe
Le Soudan est un vaste pays à vocation agricole avec de grandes étendues de terres arables. Le pays n’ayant que peu investi dans le développement agricole a cédé plus de 1,6 million d’hectares aux investisseurs étrangers.
Parmi les principaux investisseurs dans l’achat et la location de terres arables du Soudan figurent les monarchies pétrolières du Golfe qui disposent des ressources financières importantes. On assiste à une sorte de ruée de celles-ci vers le Soudan. Les Emirats arabes unis y exploitent plus de 500.000 hectares. Le Qatar et l’Arabie saoudite exploitent également des superficies respectivement de plus de 100.000 ha et 30.000 ha. Le Bahrein, la Jordanie et le Koweït y sont également présents.
Outre les pays du Golfe, la Corée du Sud, l’un des pays les plus actifs en matière d’investissement sur les terres agricoles en Afrique, est présente avec la location de plusieurs centaines de milliers d’hectares.
Hormis ces cinq pays, d’autres aussi se singularisent dans ces ventes de terres alors qu’ils ne disposent pas de grandes superficies de terres arables. C’est le cas notamment du Mozambique et du Bénin avec 1 million d’ha chacun, le Ghana, le Libéria et le Cameroun avec 0,7 million d’hectares pour chacun.
Et malheureusement, presque tous ces pays connaissent des problèmes alimentaires que ces cessions de terres agricoles ont aggravés du fait que les investisseurs étrangers, tout en detruisant la paysannerie traditionnelle, produisent pour l'internatinal et non pour le marché local.
A l’opposé de ces politiques de cession de terres, certains pays africains ont opté pour le développement de leur agriculture. C’est le cas du Togo. Ce pays a accordé la priorité au développement de son agriculture avec des investissements importants dans le cadre du Programme d’investissement dans le secteur agricole. Grâce à plus de 230 milliards de FCFA investis avec le soutien de la Banque africaine de développement (BAD), le pays assure sa sécurité alimentaire et la disponibilité continue de produits agricoles.
Un exemple que beaucoup de pays africains devraient suivre au lieu de continuer à brader leurs terres,….