Corruption: Shell et Eni auraient fait perdre 6 milliards de dollars au Nigeria

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Le 27/11/2018 à 11h42, mis à jour le 27/11/2018 à 11h44

Les géants pétroliers Eni et Shell risquent d’être inculpés par un tribunal de Milan pour corruption. En cause, un contrat d’exploration pétrolière entaché d’irrégularités qui fait perdre 6 milliards de dollars au Nigeria. Un ancien président nigérian, des officiers du MI6 et du FBI sont impliqués.

En Afrique, les contrats léonins dans les secteurs des mines et énergies sont légion, surtout dans les pays où la corruption est courante, comme c’est le cas de nombreux pays d’Afrique de l’ouest et centrale, riches en ressources minières et pétrolières. A cause de cette pratique, des milliards de dollars sont annuellement perdus par les pays africains.

Avec deux millions de barils produits quotidiennement, le Nigeria est le premier producteur et exportateur de pétrole du continent africain, et le pays est l’exemple-type de cette corruption qui sévit dans le juteux secteur de production d'or noir...

C'est ainsi que deux géants pétroliers, l'italien Eni et l'anglo-néerlandais Shell, se retrouvent aujourd’hui dans les filets de la justice italienne pour des soupçons de corruption, dans le cadre d’un énorme contrat pétrolier conclu avec l'Etat nigérian. 

En effet, une enquête minutieuse menée par Global Witness, une ONG anticorruption, durant plusieurs années, révèlent que les deux géants pétroliers ont été reconnus coupable d’avoir versé, en toute connaissance de cause, d'importants pots-de-vin dans le but de s’octroyer l’exploration du bloc OPL 245, un champ pétrolier offshore dans le delta du Niger, qui contiendrait 9 milliards de barils de pétrole.

Selon les estimations des évaluations faites par les organisations mandatées par Global Witness, les pertes occasionnées pour le Nigeria, en se basant sur un cours du baril de pétrole à 70 dollars, sont estimées à 5,86 milliards de dollars.

En conséquence, dans le cadre de son enquête, Global Witness a pu apporter des éclaircissements sur la manière dont ce contrat a pu être modifié en faveur de ces deux géants pétroliers. L'ONG a ainsi pu retracer le déroulement de cette opération occulte. 

Selon la justice italienne, le Nigérian Emeka Obi, propriétaire de la société Energy venture partners, aurait été chargé par l’ancien ministre du pétrole du Nigeria, Dan Etété, de trouver un acquéreur pour le bloc OPL-245 qu’il s’était attribué en 1998, en la vendant à Malabu, une société qui lui appartenait secrètement.

L’Italien Gianluca Di Nardo avait mis en contact Emeka Obi et Paolo Scaroni, patron du groupe pétrolier italien Eni à cette période. Et l’ancien ministre du pétrole nigérian a vendu la licence d’exploration à Eni et Shell.

L’ONG estime que cet accord devrait être annulé, du fait que le contrat est entaché d’allégations avérées de corruption.

Selon Global Witness, les deux compagnies savent que sur le 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) qu’ils ont versé au Nigeria pour l’acquisition de la licence pour l’exploration du bloc pétrolier offshore OPL-245, 1,09 milliard de dollars avait été utilisé à des fins de corruption. Et pour étayer ces graves accusations, l’ONG s’est basée sur des demandes émanant de courriels qui ont fuité.

La justice italienne a fini par trancher sur le dossier des intermédiaires, le Nigérian Emeka Obi et l’italien Gianluca Di Nardo. En septembre dernier, cette affaire a ainsi connu ses deux premières condamnations. Selon Le Monde, les deux intermédiaires, qui avaient demandé à bénéficier d’une procédure de jugement accéléré, ont été condamnées à 4 ans de prison et à des amendes conséquentes.

Cette affaire de corruption qui défraie la chronique depuis plusieurs années est très complexe, en ce sens qu’elle implique aussi un ancien président nigérian, l’ancien ministre du pétrole du Nigeria, les dirigeants des deux compagnies pétrolières et de nombreuses autres personnes influentes, mais aussi d’anciens officiers des services secrets du Royaume Uni, le MI6, et du FBI américain, selon bbc.com.

Dans cette affaire, l’ancien ministre du pétrole nigérian de cette époque, à la fin des années 90, Dan Etété, a été reconnu coupable par un tribunal français de blanchiment d’argent. cet homme est en effet à l'origine des pots-de-vin versés à d’autres membres du gouvernement ainsi qu'au président Goodluck Jonathan.

Il reste à savoir si, après avoir fait tomber les intermédiaires, l’ONG anticorruption Global Witness saura faire tomber les deux géants pétroliers, lesquels, naturellement, nient tout acte de corruption.

Mais la condamnation de ces deux majors pour corruption dans ce dossier contribuera certainement à changer la manière dont les grandes compagnies pétrolières mènent leurs activités en Afrique, notamment dans les pays où la corruption est très répandue.

Par Moussa Diop
Le 27/11/2018 à 11h42, mis à jour le 27/11/2018 à 11h44