Dans son adresse à la 71e Assemblée générale des Nations Unies, à New York la semaine dernière, Muhammadu Buhari était dans son humeur des grands jours. "L’expérience du Nigéria montre clairement que le terrorisme peut être vaincu", laissant penser que la guerre contre Boko Haram est déjà gagnée.
"Le Nigéria a fait un progrès remarquable dans sa résolution de vaincre Boko Haram, dont la capacité à orchestrer des attaques en tant que groupe organisé s’est nettement dégradée", avait conclu le président nigérian.
Des fronts ouverts un peu partout
Bonne nouvelle, mais il y a une petite dose d'exagération dans le discours de Buhari. Certes, Boko Haram est en train de reculer, mais il est loin d’avoir été défait totalement, et est toujours capable de semer la mort et la désolation dans la région nord-est du pays. Cela a été prouvé pas plus tard que le samedi 24 septembre dernier, quand une attaque dans une ville frontalière entre le Tchad et le Niger a tué 4 soldats de l’armée d’Idriss Déby Itno.
Mais ce que Buhari a sciemment négligé de mentionner; c’est que même si son armée a fait de réels progrès contre Boko Haram, deux fronts sont ouverts pour son gouvernement par les sécessionnistes de deux régions. Au Nigéria, les mouvements d’indépendance, sont comme l’Hydre de Lerne, ce fameux monstre à plusieurs têtes qui se régénèrent doublement, une fois coupées.
Les Vengeurs du Delta du Niger, la plus sérieuse menace
La plus sérieuse menace, actuellement vient des désormais sinistrement célèbres Vengeurs du Delta du Niger (Niger Delta Avengers), qui ont encore démontré ce week-end leur capacité de nuisance. Après un bref cessez-le-feu qu’ils avaient eux-mêmes décrété unilatéralement, ils ont mis, encore une fois, hors d’usage l’un des plus importants pipelines nigérians. D’après Reuters, ils ont fait sauter le pipeline reliant l’Ile de Bonny au continent.
Les Vengeurs affirment se battre pour une répartition plus équitable de la richesse pétrolière du Delta du Niger, laquelle, bien souvent, engraisse les gros bonnets du pays, au moment où la région reste l’une des plus pauvres du pays. En conséquence, ils s’attaquent à l’industrie pétrolière. Depuis le début de l’année, des attaques répétées ont ramené la production pétrolière nigériane à quelque 2,1 millions de barils/jour. Soit un recul de 800.000 barils par rapport à la moyenne. Le pays, qui sombre dans une crise économique, n’en avait certainement pas besoin.
De la simple frustration à la demande d'indépendance
Au moment où les Vengeurs continuent de gagner en force, leurs revendications s’intensifient. Ils ne sont visiblement pas affectés par l’offensive militaire dont l’objectif est de les stopper. Désormais, ils ne veulent plus la simple répartition de la manne pétrolière, ils exigent "l’auto-détermination", avec l’intension d’avoir l’autonomie complète. Ils menacent d’y aller avec violence, s’ils n’obtiennent pas gain de cause.
Le cessez-le-feu du mois dernier était supposé ouvrir une fenêtre aux négociations pour instaurer la paix, mais les Vengeurs maintiennent que le gouvernement nigérian a refusé la perche tendue. d'où de nouvelles attaques plus rudes encore. Shell a fermé un pipeline d’une importance capitale, suite à la destruction desdites installations.
C’est un développement troublant. Ils donnent plus de fil à retordre que Boko Haram. Car, le groupe terroriste islamiste ne cause l'instabilité que dans le Nord. Cependant, en interrompant la production de pétrole, les Vengeurs impactent tout le pays.
Le Biafra revient à la surface
Mais, Buhari n’est pas au bout de ses peines. Même s’il réussit à écraser Boko Haram et à apaiser les Vengers, il faut s’inquiéter à propos d’un troisième mouvement de sécession. L’éphémère République autoproclamée du Biafra a été réduite à néant dans les années 1970 par l’armée nigériane. Trois millions de civils avaient trouvé la mort dans ce soulèvement. Néanmoins, les tensions qui avaient mené à la création de la République du Biafra n’ont jamais réellement disparu. Elles sont latentes dans la région et peuvent se transformer en conflit armé à tout moment. Beaucoup d’Igbo se sentent marginalisés et se disent victimes de discrimination encore aujourd’hui.
Et bien sûr un nouveau groupe est en train de capitaliser sur ces frustrations communautaires et ethniques. Le Peuple autochtone du Biafra (The Ingenous People of Biafra, IPOB) a placé la question biafraise au centre des priorités fédérales nigérianes. L’IPOB appelle régulièrement à un référendum de type Brexit pour voir s’il faut rester au sein de la Fédération du Nigéria ou pas, organisant régulièrement des manifestations. L’année dernière, l’arrestation de Nnamdi Kanu, leader de l’IPOB, et son inculpation pour trahison ont eu l’effet inverse que de faire taire les contestations. Sa détention n’a fait que lui donner un statut de victime et a amplifié son message. Cela est arrivé à un point où les Vengeurs du Delta du Niger ont posé comme préalable à toute négociation sa libération par les autorités nigérianes.
Mais le général Buhari a répété à plusieurs reprises que le risque d’une nouvelle sécession biafraise n’existe pas. Plus récemment, en réponse aux protestations des activistes pro-Biafra à New-York, Buhari a redit qu’il n’avait aucunement l’intention d’organiser un référendum sur le sujet de l’indépendance. Il a suggéré aux activistes de former un parti politique pour défendre leur cause à travers les canaux démocratiques nigérians.
Pris individuellement, Boko Haram, Les Vengeurs du Delta du Niger et l’IPOB représentent tous un sérieux défi pour le gouvernement fédéral. Mais, pris ensemble, ce pays qui est perçu comme un géant africain, n’est finalement qu’une fragile construction, 56 ans après son indépendance.