Les funérailles du héros de la lutte anti-apartheid Ahmed Kathrada se sont transformées ce mercredi 29 mars en manifestation de défiance envers le président sud-africain Jacob Zuma, nouvel épisode des tensions qui déchirent le Congrès national africain (ANC) au pouvoir.
Chargé de prononcer l'éloge funèbre, l'ancien chef de l'Etat Kgalema Motlanthe, qui a assuré quelques mois en 2009 l'intérim entre Thabo Mbeki et Jacob Zuma, a profité de l'occasion pour livrer une charge aussi sévère qu'inattendue pour l'occasion contre son successeur, interdit de cérémonie par la famille du défunt.
Compagnon de cellule, ami et confident de Nelson Mandela, figure historique de l'ANC, Ahmed Kathrada, décédé mardi à l'âge de 87 ans, avait publiquement pris la plume l'an dernier pour réclamer la démission de Jacob Zuma, mis en cause dans une série de scandales de corruption.
"Il serait déloyal de rendre hommage à la vie du camarade Kathrada et de prétendre qu'il n'était pas profondément perturbé par la faillite politique actuelle", a déclaré Motlanthe devant la foule réunie dans le cimetière de Westpark à Johannesburg.
Il a ensuite lu des morceaux choisis d'une lettre ouverte à Zuma, publiée par le défunt.
"Face à des critiques, condamnations et exigences aussi larges et persistantes, serait-ce trop que d'exprimer l'espoir que vous preniez la bonne décision en envisageant de démissionner?", s'est plu à lire l'ancien président.
La lecture de ce passage a suscité une longue salve d'applaudissements de l'assistance, debout. "Dégage Zuma", a alors hurlé un homme, paroles aussitôt reprises par d'autres.
Dès l'annonce de sa mort tôt mardi matin, toute l'Afrique du Sud a rendu un hommage ému, unanime et dithyrambique à celui que l'on surnommait "Oncle Kathy", emprisonné avec Nelson Mandela à la prison de Robben Island.
Au pouvoir depuis 1994, l'ANC a déploré la disparition d'un "chef dont le service à son pays restera gravé à tout jamais" et souligné qu'il n'avait "jamais abandonné ou tourné le dos à l'ANC".
Zuma s'est contenté plus sobrement de présenter ses condoléances à la famille et de dire sa "profonde tristesse".
Privé d'obsèques
Et mercredi matin, ses services ont confirmé qu'il "ne participera pas aux funérailles et à l'hommage (national), conformément aux souhaits de la famille" Kathrada.
Emmenée par le vice-président Cyril Ramaphosa, la quasi-totalité du gouvernement a assisté aux obsèques de "Oncle Kathy".
Humiliation suprême pour le chef de l'Etat, son ministre des Finances et principal rival au sein du gouvernement, Pravin Gordhan, a été acclamé par les parents et amis de Kathrada.
"Que vous soyez encore ou non ministre dans les jours et les semaines qui viennent, vous restez fidèle à des valeurs et à des principes dont Ahmed Kathrada serait fier", lui a lancé le patron de la fondation du défunt, Neeshan Balton.
En tournée de promotion au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, Gordhan a été sommé lundi par Zuma de rentrer toutes affaires cessantes en Afrique du Sud, sans autre explication.
Ce rappel a été interprété comme le prélude à un remaniement ministériel imminent et à un limogeage du ministre.
Depuis des semaines, les partisans du président au sein de l'ANC exigent le renvoi de Pravin Gordhan, qui s'oppose publiquement à Zuma sur la gestion des deniers publics.
La perspective d'un départ de Gordhan inquiète les investisseurs. Depuis lundi, le rand sud-africain a perdu près de 6% de sa valeur par rapport au dollar et à l'euro.
Déjà ministre des Finances entre 2009 et 2014, Pravin Gordhan avait été rappelé en urgence à ce poste en décembre 2015 pour calmer la panique qui s'était emparée des marchés financiers à la nomination d'un inconnu à la tête du Trésor.
Au pouvoir depuis la fin officielle de l'apartheid en 1994, l'ANC de feu Nelson Mandela se déchire depuis des mois autour de la succession de Zuma, qui doit quitter la présidence à la fin de son second mandat après les élections générales de 2019.