Souvent défait, toujours incontournable: à 72 ans, Raila Odinga, vétéran de la politique kényane, a été désigné jeudi pour porter une nouvelle fois les couleurs de l'opposition à la présidentielle du 8 août.
Sa défaite au premier tour de la présidentielle de 2013 face à Uhuru Kenyatta devait sonner la fin de sa carrière politique, après deux échecs en 1997 et 2007. Quatre ans plus tard, celui qui n'a plus aucun mandat électif n'en reste pas moins le leader le plus charismatique et le plus populaire de l'opposition au Kenya.
Si les Kényans l'appellent communément "Raila", c'est que l'homme au physique bonhomme et à la diction chuintante a d'abord dû se faire un prénom. Son père Jaramogi Oginga Odinga occupa brièvement le poste de vice-président et fut surtout le grand perdant de la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d'Etat Jomo Kenyatta, le père d'Uhuru.
L'élection d'août verra de fait s'écrire un nouveau chapitre de la longue rivalité politique entre les dynasties Odinga et Kenyatta.
Réformateur ou populiste?
Malgré des décennies d'activité politique, celui qui fut Premier ministre d'un gouvernement d'union nationale entre 2008 et 2013, demeure une énigme pour beaucoup de ses concitoyens. Certains voient en lui le réformateur social dont le pays a besoin, d'autres un populiste prompt à instrumentaliser les jalousies entre communautés.
En 2007, il crie à la fraude électorale massive lorsque son adversaire Mwai Kibaki, issu de l'élite économique kikuyu du pays, est déclaré vainqueur. Le Kenya plonge alors dans les pires violences politico-ethniques depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1963, faisant plus de 1.100 morts et plusieurs centaines de milliers de déplacés.
Il faudra une pression maximale de la communauté internationale pour trouver un compromis et faire de M. Odinga le Premier ministre du gouvernement d'union nationale.
Interrogé récemment sur cette période sombre de l'histoire du pays, Odinga a réitéré que la victoire lui avait été volée et qu'il était complètement étranger aux violences meurtrières dont une partie de ses sympathisants se sont pourtant rendus coupables.
Plus que tout observateur de la vie politique kényane, c'est sans aucun doute sa propre communauté Luo, dans l'ouest du Kenya, qui a le mieux décrit M. Odinga en le surnommant "Agwambo", "le mystérieux".
Huit ans de prison
De fait, l'homme est souvent difficile à décrypter et son parcours semé de contradictions.
Quand Raila Odinga lit un discours préparé à l'avance, il butte sur les mots, se trompe dans les chiffres. Mettez-le sur un podium sans notes à la main, il multiplie les bons mots en kiswahili, séduit la foule et aligne des arguments qui font mouche.
Ses détracteurs l'ont souvent épinglé comme "socialiste", lui qui a fait ses études d'ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l'Est communiste et qui a prénommé son fils aîné Fidel, décédé en 2015, en hommage au révolutionnaire cubain.
Raila Odinga se présente, lui, comme un social-démocrate, qui entend rééquilibrer la répartition des richesses dans un pays profondément inégalitaire. Il est dans les faits à la tête d'un solide patrimoine, fruit de sa carrière politique et d'homme d'affaires, dans le secteur de l'éthanol et du pétrole. Son passage au poste de Premier ministre a par ailleurs confirmé qu'il n'avait aucune aversion pour l'économie de marché.
Dès le début de son engagement en politique au début des années 80, Raila Odinga fait preuve d'une ténacité qui ne l'a depuis jamais quitté: il paye son opposition au régime de parti unique en vigueur au Kenya jusqu'en 1992 par près de huit ans de détention sans procès, dans les années 80 et jusqu'en 1991.
Il est en 2010 l'un des plus ardents promoteurs d'une nouvelle constitution adoptée par référendum et largement perçue comme plus progressiste que la précédente.
Marié, père de quatre enfants (Fidel, Rosemary, Raila Junior et Winnie), M. Odinga fut élevé dans un milieu anglican, s'est détourné de la religion dans sa jeunesse, avant de rejoindre une église évangéliste en 2009.