C'est peut-être la goutte qui qui risque de faire déborder le vase et mener vers la guerre entre les deux voisins du nord-est du continent. En effet, le Soudan vient de confier la gestion intégrale de l'île de Suakin à la Turquie pour une durée de 99 ans. A lui seul, ce bout de terre de 70 km2 ne mérite pas toute cette tension entre l'Egypte et le Soudan. En d'autres circonstances, cela se serait réglé après quelques coups de fils entre le Caire et Khartoum. Mais dans cette partie de l'Afrique, tout semble plus compliqué qu'ailleurs et on semble se diriger vers une dangereuse escalade.
Pour la petite histoire, Suakin est rattachée administrativement à la région de Hala'ib et Shalateen que se disputent les deux pays. En décembre dernier, le Soudan a même envoyé une lettre aux Nations Unies sollicitant leur arbitrage dans ce différend. Cette région triangulaire de 20.500 km2 avait été rattachée au Soudan par les Anglais en 1902 quand ils administraient aussi bien le Soudan que l'Egypte. Mais auparavant, en 1899, la première frontière tracée passait par le 22e parallèle, ce qui octroyait le triangle des Hala'ib à l'Egypte.
Historiquement, même si l'Egypte avait envoyé brièvement des troupes en 1958, les Hala'ib ont été administrés par le Soudan jusqu'en 1992. Mais quand Khartoum autorise une société canadienne à y prospecter du pétrole, l'Egypte conteste vigoureusement. Tout rentre dans l'ordre quand ladite société pétrolière renonce à la prospection. Mais, quand en 2000, le Soudan retire ses troupes, l'Egypte ne laisse pas la zone avec un statut de terra nullius bien longtemps. Depuis 18 ans déjà, les troupes égyptiennes y sont postées et les populations ont même reçu des pièces d'identité délivrées par Le Caire. Bref, le puissant voisin du nord essaie de mettre le Soudan devant le fait accompli.
Après la contestation du Soudan auprès des Nations-Unies, l'Egypte a, à son tour, rejeté la revendication soudanaise, évoquant la frontière de 1899, qui n'a existé que pendant trois petites années. Dans la foulée, l'Egypte a purement et simplement exclu le Soudan des négociations concernant le partage des eaux du Nil, avec la mise en service du barrage éthiopien de la Renaissance.
Le fait que le Soudan confie l'île de Suakin à la Turquie n'est donc pas anodin et il intervient dans un contexte de relations très tendues entre voisins. Car faut-il le rappeler, nul ne cache les jeux d'alliances entre les différents pays de cette région aux portes du Moyen-Orient. La Turquie est plutôt l'allié du Qatar, voire de l'Iran, alors que l'Egypte est le partenaire nord-africain de l'Arabie Saoudite. Donc, c'est à un rival de l'Egypte que le Soudan vient de confier une île que convoite l'Egypte. Il n'y a rien de bien rassurant.