Un président africain donne une leçon aux Boutefika, Kabila et autres Biya

Le président du Botswana Ian Khama (à gauche) échange une poignée de main avec son successeur l'actuel vice-président Mokgweetsi Masisi (à droite) à Serowe le 27 mars 2018

Le président du Botswana Ian Khama (à gauche) échange une poignée de main avec son successeur l'actuel vice-président Mokgweetsi Masisi (à droite) à Serowe le 27 mars 2018 . afp.com - MONIRUL BHUIYAN

Le 29/03/2018 à 16h10, mis à jour le 29/03/2018 à 16h15

On ne doit pas s'agripper au pouvoir. Et quand c'est un chef d'Etat qui veut le dire aux vieillards qui courent derrière un énième mandat, il choisit simplement de démissionner avant le terme de son mandat. C'est ce qu'a fait le Président de ce pays sans cesse cité en exemple.

Certes Gaborone est à 7000 kilomètres d'Alger, 3200 km de Yaoundé. Cependant, quelle que soit la distance qui sépare la capitale botswanaise de ces capitales entre les mains de gérontocrates agrippés au pouvoir, l'écho de cet acte de Ian Khama résonnera longtemps dans les oreilles de Bouteflika, Paul Biya ou de présidents plus jeunes comme Kabila.

En effet, le chef de l'Etat botswanais vient simplement de démissionner, deux ans avant le terme de son mandat, alors que plusieurs de ses homologues veulent enchaîner sans cesse les mandats, quand ils ne modifient pas la constitution de leur pays pour perdurer au sommet de l'Etat.

Il faut se rendre à Gaborone pour constater dans quel contexte intervient ce renoncement au pouvoir. Le président de 65 ans est célébré par des chants et des cadeaux pour cet événement rare. La petite ville de Serowe dans l'est du Botswana a fêté cette semaine l'enfant du pays, le président Ian Khama, qui s'apprête à démissionner dans le cadre d'une transition politique présentée comme exemplaire.

A des milliers de personnes massées dans une "kgotla", une cour traditionnelle, pour l'implorer de renoncer à écourter son mandat, le président Khama a répondu mardi qu'il tournait la page de sa vie publique sans regrets, ni amertume, mais serein. "J'étais un soldat, je n'avais aucun intérêt à entrer en politique", a-t-il lancé à la foule en guise de testament, "et j'ai plein de projets pour l'avenir, très loin de la vie politique".

Au pouvoir depuis 2008, Ian Khama rendra officiellement samedi les clés du pays, dix-huit mois avant la fin de son mandat et les élections générales, pour respecter à la lettre la Constitution qui limite à dix ans les mandats du chef de l’Etat.

Sous sa direction, le discret Botswana - 2,2 millions d'habitants pour un territoire un peu plus grand que la France - a connu une période de forte croissance économique, dopée par ses très lucratives exportations de diamants et de viande bovine. Il s'est aussi imposé sur le continent africain en modèle en matière de bonne gouvernance et de protection de l'environnement, particulièrement riche en faune et flore sauvages.

Mardi donc, le futur ex-président a conclu à Serowe une tournée d'adieux entamée en décembre, qui l'a conduit dans la totalité des 57 circonscriptions du pays.

Honnête

Un retour aux sources pour cet ancien pilote militaire qui cultive une image d'homme proche du peuple, même si son père, Seretse Khama, fut, de 1966 à 1980, le premier président de l'ancienne colonie britannique devenue indépendante.

"C'est un homme honnête, direct" qui fait preuve d'un "réel amour", a loué une octogénaire de sa ville, Edna Monyena, vêtue d'un pagne bleu floqué du portrait du président.

La ville de Serowe a couvert son héros d'une pluie de cadeaux à la mesure de sa fierté et de sa reconnaissance: un véhicule 4x4, 143 vaches, des centaines de poulets, l'équivalent de 44.000 dollars en liquide et une luxueuse caravane aussitôt baptisée par son frère, Tshekedi Khama, la "présidence mobile"...

"J'aurais voulu qu'il reste cinquante ans de plus au pouvoir, jusqu'à ce que le Tout-puissant le rappelle auprès de lui", s'est pâmée une de ses "groupies", Sadie Moleta, 23 ans. Franc et direct, Ian Khama s'est fait une réputation de ne pas s'embarrasser outre-mesure des usages diplomatiques. Ses sorties contre ses homologues en témoignent.

Lorsque l'Américain Donald Trump a évoqué les Etats africains comme des "pays de merde", il n'a pas hésité à faire convoquer son ambassadeur à Gaborone. Comme il n’a pas hésité auparavant à réclamer la démission de son voisin du Zimbabwe, Robert Mugabe (renversé depuis), ou celle du président de la République démocratique du Congo Joseph Kabila.

S'il s'affiche volontiers en contre-courant de ces deux-là, le dirigeant du Botswana n'est toutefois pas exempt de reproches.

Leader moral

Sous sa férule, son Parti démocratique du Botswana (BDP) a remporté haut la main les élections de 2009 et 2014. Mais les critiques de Khama ont pointé du doigt sa méthode toute militaire d'exercer le pouvoir, aux limites de l'autocratie. Sur le plan économique, d'autres ont souligné la persistance, depuis 2009 et la baisse des cours mondiaux du diamant, d'un fort taux de chômage dans son pays.

"Sur le plan international, il se présente volontiers en leader moral de la région, en exemple de président qui respecte les lois et les coutumes en démissionnant et se permet d'inviter les présidents Kabila et Mugabe à respecter la démocratie et l'Etat de droit", note l'analyste Matteo Vidiri, du cabinet BMI Research.

«Mais le ralentissement de l'économie et la grogne croissante de sa population écornent la belle image du "président spécial" d'un pays qui échappe à la "malédiction des pays riches en ressources naturelles"», ajoute-t-il.

Ses adversaires politiques vont jusqu'à reprocher à Ian Khama d'avoir favorisé une société de "mendiants". "Il a tué l'esprit d'autonomie en créant une dépendance à l'aumône", regrette Kesitegile Gobotswang, le vice-président du Parti du congrès du Botswana (BCP), rappelant que "l'économie a perdu des emplois sous son règne". Le successeur de Ian Khama, l'actuel vice-président Mokgweetsi Masisi, 55 ans, sera investi dimanche.

Avant Ian Khama, seul le président Léopold Sédar Senghor du Sénégal avait démissionné avant le terme de son mandat en 1980 pour céder la place à Abdou Diouf. Il y a néanmoins deux grandes différences entre le président poète et Khama. Senghor avait passé 20 ans au pouvoir, soit le double de Khama, et il partait en laissant un pays exsangue qui allait être soumis au plan d'ajustement structurel, alors que le Botwana se porte nettement mieux.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 29/03/2018 à 16h10, mis à jour le 29/03/2018 à 16h15