Achevé en décembre dernier, ce rapport parlementaire, dont l'AFP a obtenu une copie, accuse Ahmed Abdallah Sambi et Ikililou Dhoinine d'avoir participé à une gigantesque fraude et préconise l'ouverture de poursuites judiciaires contre eux.
"Les juridictions pénales (...) doivent être saisies des cas de détournement de deniers publics et de complicités imputables aux présidents et à leurs complices", écrivent ses auteurs.
L'affaire a commencé lorsque l'ex-président Sambi a lancé en 2008 un programme destiné à "vendre" la citoyenneté comorienne à des populations apatrides du Koweït et des Emirats arabes unis, connues sous le nom de "Bidouns", contre les investissements des deux pays dans l'archipel.
L'accord initial portait sur la naturalisation de 4.000 familles bidouns pour un montant de 200 millions de dollars, destinés à financer des grands travaux d'infrastructures.
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Selon les données recueillies par la commission parlementaire, 47.950 passeports ont été émis dans le cadre de ce programme. Mais, a déploré le rapport, seule une infime partie a été effectivement délivrée aux Bidouns.
Les auteurs du rapport mettent en cause des "réseaux parallèles mafieux de vente de passeports" avec des "complicités" aussi bien "intérieures" qu'"extérieures" aux Comores.
Exemple, le neveu de l'ex-président Sambi, Abdou Satar, "pouvait aller imprimer autant de passeports qu'il voulait dans les locaux de Semlex (la société chargée de les imprimer) à Bruxelles sans aucun contrôle", assurent-ils.
Manque à gagner
En outre, la majeure partie du produit de la vente des passeports, écoulés entre 25.000 à 200.000 euros pièce, s'est envolée, dénoncent les parlementaires.
"Le programme a généré d'importantes ressources financières. Malheureusement une bonne partie des fonds générés n’est pas arrivé dans les caisses de l'Etat". "Le manque à gagner serait de 971 millions de dollars", estiment-ils. Environ 80% du produit intérieur brut annuel du pays...
Le rapport s'interroge sur le rôle joué dans ce "trafic" par deux sociétés à qui l'Etat comorien avait confié la gestion du programme. Mais il pointe surtout du doigt la responsabilité des deux anciens chefs de l'Etat.
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Lors de la signature du contrat, l'ex-président Sambi a ainsi reçu une "gratification" de 105 millions de dollars, selon les parlementaires. Cette "enveloppe" relève de "la haute corruption".
M. Sambi est aussi accusé d'avoir "consenti à l'ouverture de compte dans les paradis fiscaux" sans pouvoir "justifier l'affectation de ces fonds", ce qui le rend "suspect de détournement de deniers publics", poursuivent les députés.
La même qualification est retenue contre Ikililou Dhoinine, accusé d'avoir ordonné de ne plus verser de fonds publics à la Banque centrale "sans pouvoir expliquer l'utilisation de ces fonds".
Critiqué dès son lancement, le plan "passeports contre investissements" a été officiellement suspendu par l'actuel président Azali Assoumani, après son élection en 2016.
Pas clair
Le rapport constate toutefois que plusieurs dizaines de passeports ont continué à être écoulés après cette date.
Entendus par la commission d'enquête, les ex-présidents Sambi et Dhoinine ont nié les accusations qui pèsent sur eux.
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"Nous avions des difficultés financières et on nous a dit que (ce programme) pourrait nous permettre de réaliser nos projets", a plaidé le second.
"Mais ce n'était pas clair", a-t-il ajouté, "personne ne savait, en tout cas moi personnellement, comment ça se passait".
"Le président (Sambi) n'a rien à voir dans cette affaire", a assuré à l'AFP un de ses ex-ministres, Ahmed el-Barwane.
"C'est une commission orientée dans l'objectif d'atteindre quelqu'un ou de faire taire quelqu'un", a-t-il ajouté, rappelant que M. Sambi restait un candidat sérieux à la présidentielle de 2021.
La balle est désormais dans le camp de l'actuel chef de l'Etat, à qui le rapport a officiellement été remis la semaine dernière.
"Notre rôle était de savoir ce qui s'est passé, le reste appartient à la justice et à l'exécutif", a lancé le président de l'Assemblée fédérale, Abdou Ousseni, dans les colonnes du quotidien gouvernemental El-Watan.
"Les autorité ont utilisé la loi sur la citoyenneté économique pour s'en mettre plein les poches", a regretté pour sa part Hamidou Mohoma, un représentant de la société civile comorienne, "nous demandons que justice soit rendue".