Le président djiboutien aborde sans langue de bois les questions brûlantes du moment: «contentieux avec DP World, présence chinoise, relations avec l’Ethiopie», pour affirmer finalement ce qui devrait être en principe une évidence: «Djibouti n’est pas à vendre».
Situé dans la Corne de l’Afrique, à la sortie de la mer rouge, Djibouti tire son importance et ses richesses d’une position stratégique sur le plan de la géopolitique, avec un territoire qui accueille des bases militaires occidentales.
Dans ce pays, le revers de la médaille, qui prend la forme d’un véritable talon d’Achille, est constitué par la réalité d’une entité dont 25% de la population vivent sous une menace récurrente de la famine. Et avec un régime politique autoritaire sous la férule d’un chef s’accroché au pouvoir depuis une vingtaine d’années au mépris du principe de l’alternance et des règles de bonne gouvernance.
Répondant à une question relative au contentieux avec la société émiratie DP World, entrée dans une vive colère après la résiliation d’un contrat de concession portant sur le terminal à conteneurs du port de Doraleh, suite à une annonce faite par le gouvernement djiboutien le 22 février dernier, Ismaël Omar Guelleh remonte aux racines du mal pour un éclairage complet.
Il soutient que depuis six ans, les autorités de Djibouti «tentent de renégocier, en vain, treize (13) articles d’un contrat léonin signé en 2006 et "mal conclu à l’époque par notre faute. Nous avons perdu beaucoup de temps et d’argent dans le cadre de la gestion de cette affaire. Il fallait y mettre un terme."
Et d'expliquer: "Ainsi, en novembre 2017, nous avons adopté une loi qui autorise l’Etat à réaménager tous les contrats stratégiques, et celui-ci en fait partie, puisque l’installation en cause est le premier employeur de Djibouti. Mon ministre des Transports s’est rendu par la suite à Dubaï, chez DP World pour discuter.
Réponse sèche de l’opérateur : vous voulez rompre le contrat? Allez-y. Nous allons vendre nos actions et tous nos actifs (hôtels, villas, quai pétrolier…) à Djibouti. Le ministre a naturellement répondu que l’Etat de Djibouti se portait acquérir des actions».
Clause aberrante
Le président Guelleh se livre à une plongée rageuse dans le fond de l’affaire expliquant au passage que «l’une des clauses aberrantes du contrat de 2006» prévoit que«bien que majoritaire avec 66% des actions, l’Etat de Djibouti est minoritaire au sein du Conseil d’administration de Doraleh Container Terminal (DCT)».
Un contexte juridique et contractuel qui place le partenaire émirati dans une position de force.
La conséquence apparaît clairement dans la réponse à la demande de rachat formulée par le gouvernement et rapportée par le président djiboutien dans l’entretien
Une réaction tombée comme un véritable coup de massue: «Nous vendons nos actions et actifs à qui nous voulons.».
Attitude jugée «inadmissible» par le président Guelleh, qui enchaîne: «Pour nous, il s’agit d’une question de souveraineté. Nous avons alors usé de notre droit de préemption et décidé de nationaliser DCT. Les procédures normales d’indemnisations seront mises en œuvre».
Parmi les griefs formulés par le président de Djibouti à l’égard de DP World, figure également une absence manifeste de volonté de développer Doraleh Container Terminal (DCT), qui ne fonctionnait qu’à
40% de ses capacités.
Le conflit juridique entre le gouvernement de Djibouti et l’opérateur émirati renvoie en toile de fond du jeu des grosses rivalités nourrissant la concurrence entre l’Europe, la Chine et DP World pour le contrôle et la gestion moderne des terminaux portuaires en Afrique.
Un domaine dans lequel les émiratis de DP World ont certes joué un rôle pionnier et d’éclaireur (illustration avec les cas de Dakar et Djibouti), mais il semble aujourd’hui que DP World s’essouffle face à l’agressivité des Européens et des Chinois sur le terrain «d’affrontement» qu’offre l’Afrique.