Soudan: la police lâche le président El Béchir

Omar El-Béchir, président du Soudan.

Omar El-Béchir, président du Soudan. . DR

Le 09/04/2019 à 17h45, mis à jour le 09/04/2019 à 17h54

La police soudanaise a ordonné mardi à ses forces de “ne pas intervenir” contre les milliers de manifestants réunis pour le 4e jour consécutif devant le QG de l’armée à Khartoum. Elle appelle aussi à un “transfert pacifique du pouvoir” à l’instar de plusieurs pays occidentaux.

Semblant se rallier au mot d’ordre des manifestants qui demandent la fin du règne du président Omar el-Béchir, la police — qui mardi encore a participé à la répression — a dit souhaiter, dans un communiqué, l’union du “peuple soudanais (…) pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir”.

Jusque là restées discrètes, les ambassades à Khartoum des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège ont elles aussi exigé la mise en place d’“un plan de transition politique crédible”.

Les forces armées soudanaises comprennent les motifs des manifestations et ne sont pas contre les demandes et les aspirations des citoyens, mais elles ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos.

Bravant l’interdiction de manifester, les contestataires appellent depuis samedi les soldats à ne plus soutenir Béchir. Le maintien de leur présence devant le QG de l’armée — qui sert aussi de résidence pour Béchir — constitue un tournant depuis le début de ce mouvement de contestation, il y a près de quatre mois.

Si l’armée n’a pas participé à la répression des manifestations, la police anti-émeutes, ainsi que le puissant service de renseignement (NISS), ont souvent dispersé les manifestants lors de précédentes manifestations.

Mardi, deux de leurs tentatives de déloger les contestataires réunis devant le QG de l’armée ont échoué lorsque des soldats ont tiré en l’air. Rien ne dit si l’armée a tiré en l’air pour protéger les manifestants, comme l’affirment certains témoins, ou pour d’autres raisons : à cette heure, les intentions exactes de l’armée restent inconnues.

“Il y a eu des tirs intenses de gaz lacrymogènes après quoi l’armée a ouvert les portes du complexe pour laisser entrer les manifestants”, a décrit un témoin.

“Quelques minutes plus tard, un groupe de soldats a tiré en l’air pour repousser les forces de sécurité qui faisaient usage de gaz lacrymogènes”, a-t-il indiqué. Un journaliste de l’AFP a aussi entendu des coups de feu pendant quelques minutes.

Une vidéo, obtenue depuis Paris par l’AFP, montre les services de sécurité tenter lundi de disperser les manifestants, avant de battre en retraite après des coups de feu de l’armée.

“Gouvernement de transition”

Au moins 38 manifestants ont été tués depuis le début de la contestation, dont sept samedi, selon les autorités.

Mardi, des soldats transportant un corps sur un pick-up sont entrés dans le complexe de l’armée, selon un témoin. Aucune information n’a pour l’heure été donnée sur l’identité de la victime.

Lundi, devant le QG de l’armée, l’opposant Omar el-Digeir, chef du Parti du Congrès soudanais, a appelé l’armée à “engager un dialogue direct” avec l’Alliance pour le changement et la liberté, une union de partis d’opposition et de professionnels soudanais, “afin de faciliter un processus pacifique débouchant sur la formation d’un gouvernement de transition”.

“Les forces armées soudanaises comprennent les motifs des manifestations et ne sont pas contre les demandes et les aspirations des citoyens, mais elles ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos”, a répondu le ministre de la Défense, le général Awad Ahmed Benawf, selon l’agence officielle Suna.

Dans un communiqué, le général Kamal Abdelmarouf, chef d‘état-major de l’armée, a précisé que celle-ci “continuait d’obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens”.

Un conseil a été formé par les organisateurs de la contestation pour lancer des négociations avec les forces de sécurité et la communauté internationale, dans le but de transférer le pouvoir à un “gouvernement de transition, fidèle aux voeux de la révolution”, a déclaré Digeir.

“Nous réitérons la demande du peuple de démission immédiate du chef du régime et de son gouvernement”, a-t-il dit.

Déclenchées le 19 décembre décembre par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, les manifestations se sont rapidement transformées en contestation contre Béchir, à la tête du pays depuis un coup d’Etat en 1989.

Le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, est confronté à une inflation de près de 70% par an et fait face à un grave déficit en devises étrangères.

Les manifestations de ces derniers jours ont coïncidé avec des coupures d‘électricité dans tout le pays, que le ministère de l’Electricité a attribué à un problème technique.

Depuis le début des contestations, Béchir a refusé de démissionner. Après avoir tenté de réprimer la contestation par la force, il a instauré le 22 février l‘état d’urgence dans tout le pays.

La mobilisation avait alors nettement baissé, jusqu‘à la journée de samedi, date marquant l’anniversaire de la révolte du 6 avril 1985 qui avait permis de renverser le régime du président Jaafar al-Nimeiri.

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a exhorté lundi le gouvernement à “créer un environnement propice à une solution à la situation actuelle et à la promotion d’un dialogue inclusif”.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 09/04/2019 à 17h45, mis à jour le 09/04/2019 à 17h54