Centrafrique: un chef de guerre investi à la tête de Bambari par l'ONU et Bangui

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Le 18/04/2019 à 12h28, mis à jour le 18/04/2019 à 12h30

Ali Darassa, chef de l'un des groupes armés de Centrafrique, vient d'être investi par l'ONU et Bangui comme autorité militaire à Bambari, ville stratégique du centre du pays où son groupe armé fait régner depuis 2014 la violence et la guerre.

L'image est saisissante: sous le soleil de Bambari, le chef de guerre, rebelle banni de la ville qui arbore quatre étoiles de général (auto-proclamé), monte les marches de la mairie pour y être officiellement nommé conseiller ministériel.

Sur la photo, se tiennent à ses côtés Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint de l'ONU pour les opérations de paix, Smaïl Chergui, commissaire à la paix et la sécurité de l'Union africaine, et Firmin Ngrebada, Premier ministre.

Cette intronisation en grande pompe s'est faite selon l'accord de paix signé début février: comme Darassa, une dizaine d'autres chefs ou représentants de groupes armés ont été nommés à des postes de responsabilité.

Mais au delà du poste, dans ce centre de la Centrafrique qu'il contrôle depuis plusieurs années, la nomination d'Ali Darassa "signifie qu'il prend la tête de Bambari avec l'accord de Bangui", explique une source onusienne.

Présente en masse à la cérémonie lundi, "la population était enervée", explique à l'AFP le maire de la ville, Abel Matchipata. "Le conflit a fait beaucoup de victimes et beaucoup d'exactions, on a beaucoup de mal avec les groupes armés".

Fin janvier encore, l'Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), groupe d'Ali Darassa accusé de centaines d'exactions depuis sa création en 2014, a croisé le fer avec les troupes d'élite de la Mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca) à Bambari.

Ces combats, auxquels se sont ponctuellement joints des Mirage 2000 français venus de N'Djamena, ont eu lieu quelques jours seulement avant le début des pourparlers de paix.

"Il s'est assuré une place de choix aux négociations", continue la source onusienne. L'UPC, de fait, y a glané un poste de premier rang pour son chef: conseiller spécial militaire à la Primature, en charge des unités spéciales mixte de sécurité de la zone de Bambari, son fief.

Pas d'autre alternative

A Bambari, le maire est inquiet mais reste lucide: "nous n'avons pas d'autres alternative que d'accepter les accords de (paix de) Khartoum, il faut faire des concessions, c'est le seul moyen si on veut la paix".

Des concessions, pourtant, l'ONU n'en avait pas faites en mars 2017 en chassant de Bambari Ali Darassa, qui y avait établi le QG de l'UPC.

Les Nations unies avaient fait de la ville leur "vitrine de la paix", montrant aux journalistes et bailleurs de fonds le retour de "l'autorité de l'Etat", matérialisée par un procureur et quelques gendarmes.

Mais "l'UPC était restée dans la ville, en faisant profil bas", selon un rapport onusien fin 2018.

De fait, le groupe armé n'y a jamais cessé de prélever des "taxes" sur les achats et vente de bétail, sur l'extraction minière, ou plus simplement au passage de ses multiples check-points.

Peu à peu, en 2018, son emprise militaire est redevenue omniprésente. Des hommes armés de l'UPC ont recommencé à "patrouiller" en ville.

Et en mai, la guerre a repris le dessus. Les combats se sont multipliés, l'UPC a attaqué la gendarmerie, le commissariat, la paroisse, des bases de l'ONU, celles de plusieurs ONG...

En juin, un convoi de l'armée passant en ville a été pris pour cible à l'arme lourde par les hommes d'Ali Darassa.

A chaque éruption de violences, des civils ont perdu la vie. Parfois par dizaines, par centaines.

Du fait de sa puissance militaire, Darassa, est revenu par les armes dans cette ville carrefour stratégique des routes vers le nord et l'est du pays.

Alors, officialiser son leadership sur la ville entérine "le sacrifice de l'exigence de justice", selon le spécialiste de la Centrafrique Thierry Vircoulon, qui estime que la "tolérance zéro contre l'impunité" prônée par l'ONU est devenue une "tolérance zéro contre la justice".

"Il existe un risque réel que ces nouveaux conseillers ou ministres agissent dans le but d'accroître le pouvoir militaire et financier de leurs groupes armés", ajoute la chercheuse Nathalia Dukhan, du think-thank américain Enough Project, inquiète que cette "cohabitation puisse finir par imploser".

Pour Ali Darassa, désormais chef légalisé des "brigades mixtes" armée/groupes armés pour la zone de Bambari, la cohabitation nécessitera de composer avec ses anciens ennemis, dont les milices antibalaka de la zone.

"Tous les chefs de la zone vont aller en formation à Bangui, et, si ils sont bien formés, ça ira pour Bambari", veut croire, un cadre de la gendarmerie de la ville.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 18/04/2019 à 12h28, mis à jour le 18/04/2019 à 12h30