Les généraux au pouvoir au Soudan et les meneurs du mouvement de contestation ont signé samedi un accord historique qui ouvre la voie à un transfert du pouvoir aux civils au Soudan, où la population espère qu'il lui apportera une vie meilleure.
Mais pour certains, cet aboutissement ne peut effacer la tristesse d'avoir perdu un proche dans la répression du mouvement.
"Mon frère a été tué par balle le 3 juin", explique à l'AFP Ali, en référence à la dispersion du sit-in devant le quartier général de l'armée, dont le tollé avait précipité une reprise des négociations entre les deux camps.
Selon des médecins proches du mouvement de contestation, 127 personnes avaient été tuées ce jour là, et 11 sont toujours portées disparues.
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Cette répression a constitué un épisode clé dans le mouvement de contestation, enclenché en décembre en réaction au triplement du prix du pain et dirigé ensuite contre le président Omar el-Béchir qui a fini par être évincé par l'armée en avril.
"Nous avons gagné"
"J'aurais aimé qu'il voie ça. Nous avons gagné. La révolution n'est pas morte. Mon frère est un héros", dit Ali en pleurant, alors que deux amis enveloppés dans un grand drapeau soudanais viennent le consoler.
Toute la journée, une foule d'hommes et de femmes, jeunes ou vieux, ont convergé vers la salle de conférence où l'accord a été signé.
Alors qu'ils défilent, sous un soleil de plomb, dans les longues rues du centre-ville interdit à la circulation, ils font le "V" de la victoire, lançant en choeur: "Madaniya, Madaniya", pouvant être traduit comme "pouvoir civil".
Les habitants de Khartoum ou ceux des autres provinces venus en bus ou en trains ont emmené enfants ou grands-parents pour l'occasion.
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Une jeune fille portant un jean et drapée du drapeau soudanais dirige son vélo vers la salle de conférence, une scène qui aurait été inconcevable il y a quelques mois.
"C'est la plus grande célébration que j'ai jamais vue dans mon pays. Nous avons un nouveau Soudan", se réjouit Saba Mohammed, une femme voilée de 37 ans, qui agite un petit drapeau en plastique.
La période de transition de 39 mois vise à garantir plus de droits et de libertés et devrait culminer avec des élections en 2022.
"Respirer"
Si l'ambiance est festive dans les rues, nombre d'habitants sont restés prudents, craignant que les militaires reviennent sur l'accord ou que les nouveaux dirigeants ne parviennent pas à redresser une économie très mal en point.
Au marché central de Khartoum tôt samedi, clients et commerçants interrogés par l'AFP ont dit qu'ils espéraient qu'un gouvernement civil pourrait les aider à joindre les deux bouts.
"Tout le monde est heureux maintenant", déclare Ali Youssef, un étudiant de 19 ans qui travaille sur le marché.
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"Nous avons été sous le contrôle de l'armée pendant 30 ans, mais aujourd'hui nous laissons cela derrière nous car nous nous dirigeons vers un régime civil", ajoute le jeune homme, assis à côté d'un tas de tomates.
"Tous ces légumes sont très chers, mais maintenant je suis sûr qu'ils vont devenir abordables", dit-il.
Même s'il est trop tôt pour dire si la vie quotidienne va s'améliorer pour les Soudanais, ceux-ci ont au moins le sentiment qu'une page a été tournée, ouvrant la voie à plus de libertés.
"J'ai 72 ans et en 30 ans de régime de Béchir, j'ai le sentiment que jamais rien de bien n'est arrivé", estime Ali Issa Abdel Momen, un autre vendeur de légumes.
"Mais maintenant, grâce à Dieu, je commence à respirer."