Ibrahim dirige depuis près d'une décennie le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM en anglais), un groupe rebelle ayant joué un rôle majeur dans le conflit meurtrier déclenché en 2003 au Darfour, région de l'ouest du Soudan.
Polyglotte et détenteur d'un doctorat en économie, cet homme de 66 ans aux cheveux et à la barbe poivre et sel fait partie depuis février du gouvernement chargé d'organiser la transition politique au Soudan après la chute de Béchir en avril 2019, à la suite d'un soulèvement populaire.
Son "expertise politique a joué en faveur" de sa nomination à la tête du ministère des Finances, estime Mohamed Latif, un analyste et journaliste soudanais.
"Sa nomination est aussi un gage de l'engagement du gouvernement (à respecter) l'accord de paix conclu avec les groupes rebelles", selon lui.
Le gouvernement de transition dirigé par Abdallah Hamdok, économiste également, a signé en octobre un accord de paix avec plusieurs groupes rebelles, dont le JEM, comprenant notamment la nomination de rebelles dans l'équipe ministérielle.
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Les défis sont nombreux pour le nouveau ministre. Il doit entre autres s'attaquer à l'inflation, dont le taux annuel a dépassé les 300% en janvier, et aux pénuries de pain et d'essence qui attisent la colère de la population.
Doctorant en économie
Gibril Ibrahim est né en 1955 dans une famille de la tribu africaine des Zaghawa, au Darfour-Nord.
Détenteur d'une licence en gestion d'entreprises de l'université de Khartoum, il obtient une bourse pour un master et un doctorat en économie au Japon.
Il enseigne ensuite dans des universités saoudiennes et lance plusieurs entreprises de transport aérien et de fret au Soudan, aux Emirats arabes unis et au Tchad.
Dans sa jeunesse, il rejoint l'organisation des Frères musulmans puis est un temps affilié au mouvement islamiste qui mène Béchir au pouvoir par un coup d'Etat en 1989.
Mais Ibrahim se détourne de ce mouvement pour rejoindre l'insurrection au Darfour, menée à partir de 2003 par des minorités africaines qui s'estimaient marginalisées par le pouvoir de Khartoum majoritairement arabe.
"C'était impossible pour une personne saine d'esprit de rester oisive devant tout ça", affirmait-il sur la chaîne France 24 en 2016.
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Le conflit au Darfour a fait quelque 300.000 morts et plus de 2,5 millions de déplacés, essentiellement durant les premières années, selon l'ONU.
Ibrahim rejoint en 2002 le JEM -créé par son frère Khalil- en tant que conseiller économique, puis comme responsable des affaires extérieures. Il en prend la tête en 2011 après la mort de Khalil dans une frappe aérienne au Kordofan-Nord, dans le centre du Soudan.
"Khalil avait plus d'expérience dans les combats armés, Gibril se concentrait davantage sur le politique", estime l'analyste Al-Nour Ahmed.
En 2015, le mouvement accuse de lourdes pertes lors d'une bataille au Darfour-Sud, avec des centaines de combattants capturés par les forces du régime. Ibrahim étend toutefois la présence du JEM dans le pays, en établissant des bases hors du Darfour.
Le JEM a complètement déposé les armes après l'accord de paix d'octobre, devenant un mouvement politique.
Futures ambitions
En tant que ministre, Ibrahim a promis de "ne pas dormir" tant qu'il n'aura pas mis fin aux pénuries qui rongent le pays.
Peu après sa nomination, le Soudan a adopté un régime de change flottant régulé par les autorités monétaires afin de satisfaire les demandes du Fonds monétaire international, au risque de provoquer une flambée des prix et d'attiser le mécontentement populaire.
Le ministre des Finances a alors exhorté les Soudanais à surmonter les conséquences de cette décision, reconnaissant que l'effort "nécessiterait un grand esprit patriotique".
Dans le même temps, l'ancien chef rebelle ne cache pas de plus grandes ambitions pour le JEM: "Nous voulons devenir le plus grand parti du Soudan", a-t-il lancé dans un discours à Khartoum en novembre.
Et de poursuivre: "Nous voulons que le peuple nous donne mandat pour gouverner le Soudan (...) et réaliser un réel changement".