Kiosque Le360 Afrique. Même en plein milieu de l’été, quand la classe aisée du Caire rejoint la côte méditerranéenne, la plus vaste armurerie à ciel ouvert demeure peu fréquentable. C'est par ce contraste que Newsweek démarre son reportage qui a mené ses journalistes dans un village inaccessible, entouré de mines de toute part, vers la frontière égypto-libyenne.
Une ligne de démarcation
Avec 17 millions de mines antipersonnel enterrées dans le sable du Nord-ouest égyptien, nul ne peut aller au-delà de la ligne de démarcation de peur d’y laisser une jambe, voire de perdre sa vie. Abritant, selon Newsweek qui y consacre un long reportage, le plus vaste champ de mines intactes au monde, cet endroit est un triste rappel de la férocité de la seconde guerre mondiale. Au début des années 1940, il a été témoin de la tentative de l’armée britannique visant à bloquer l’avancée des troupes tant redoutées du général nazi, Erwin Rommel, les fameux Africa Korps. Du coup, Allemands, Britanniques et Italiens y avait enterré des millions de tonnes d’explosifs en tout genre, dans leurs affrontements mutuels en Afrique du Nord. Mais jusqu’à récemment, les champs de mines du Sahara ne posaient des problèmes qu’aux bédouins, qui font partie des rares groupes à vivre dans la zone. Depuis 2006, 150 personnes en sont décédé.
Cependant, ces munitions sont devenues une nouvelle source d’inquiétude. L’Etat Islamique et d’autres groupes djahidistes se sont développés dans la région, traversant les frontières poreuses dans ce vaste désert. Ils n’ont pas tardé à découvrir le potentiel de cette énorme cache d’explosifs où il suffit de se baisser pour en ramasser. Beaucoup de bombes et de mines sont de fabrication nazie, enterrées là par Rommel et ses troupes.
Plusieurs cas répertoriés
Autorités civiles et militaires du Caire affirment que l’Etat Islamique (EI) ainsi que les autres groupes ont remis au goût du jour ces mines veilles de plusieurs décennies, utilisant leurs composantes pour produire des bombes, des engins explosifs improvisés et autres armes mortelles. Nous avons au moins 10 cas d’utilisation de vieilles mines rapportés par l’armée, selon Fathy Shazly, un ancien ambassadeur en Arabie Saoudite, qui jusqu’à une date récente supervisait un programme de déminage. "Ces choses sont devenues une source d’inquiétudes pour plusieurs raisons", a-t-il affirmé.
Selon lui, le phénomène fait son apparition en 2004, quand dans le Sinaï, 34 personnes ont été tuées avec sept bombes fabriquées à partir de ces anciennes munitions. Depuis, c’est devenu une pratique courante, surtout avec le ralliement du plus dangereux groupe djihadiste, Ansar Beit Al Maqdis, à l’Etat Islamique en 2014.
Une réalité presque improbable
Vu le nombre important des armes modernes disponibles dans la région, il était improbable qu’un groupe s’intéresse à ces reliques de la seconde guerre mondiale. De l’Arabie Saoudite, deuxième plus gros importateur d’armes, à la Libye, dont la petite armée était jadis importatrice d’autant d’armement que son homologue britannique, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont inondées d’équipements militaires ultramoderne.
Néanmoins, pour les petits groupes affiliés à l’EI qui agissent dans le vaste et aride désert égyptien, tout comme chez le voisin Libyen, une bombe reste une bombe. Avec une quantité quasi inépuisable de mines antichars riches en explosifs et visiblement prêts à l’emploi, la tentation était trop grande d’utiliser ces reliques hitlériennes. Surtout, si l’on tient compte des difficultés liées à l’approvisionnement en armes des groupes islamistes.
Pas plus tard qu’en mars 2014, une attaque djihadiste perpétré avec de tels engins contre un convoi de l’armée égyptienne près de la Mer Rouge a tué cinq soldats. Les militaires qui ont reçu 700 véhicules anti-mines de la part des Etats-Unis, essaient de lutter contre ces groupes sans grands résultats.
Déminage à haut risque
L’exercice de déminage n’est pas sans danger. Cependant, les habitants de Marsa Matruh, à 200 kilomètres environ de la frontière libyenne n’ont cure des risques. Ici, le développement a tardé à venir, alors que le vaste cordon de mines sur un rayon de 4 kilomètres est presque une manne tombée du ciel. Les explosifs sont revendus sans grande peine et le métal est recyclé. "Ils font cela parce qu’ils n’ont pas d’autres sources de revenus", explique Abdul Moneim Waer, qui a perdu trois doigts à cause d’une mine quand il était plus jeune et qui travaille aujourd’hui pour un organisme de prévention contre les mines antipersonnel.
L’Egypte n’est pas le seul pays où les armes de la seconde guerre mondiale ont trouvé une seconde vie. Des enquêteurs en Irak ont pu trouver des fusils Lee-Enfield de 1942 parmi le butin de guerre des Peshmergas kurdes récupérés chez les combattants de l’Etat Islamique.
Un phénomène qui touche le Mali, l'Irak, la Syrie
Au Mali, les autorités ont récupéré une importante quantité d’armes dont 10000 vieux fusils européens. Une vidéo montre qu’en Syrie un groupe rebelle détient au moins un lance-obus datant de 1940.
Et puis, il y a la Libye. Pays sans réelle autorité étatique et sans loi, c’est devenu le bazar du Sahara où l’on peut venir faire son marché sans être inquiété. "Nous avons retrouvé plusieurs centaines de revolvers de marque britannique Webley qui étaient en vente de même que des carabines italiennes, des Mausers, des Bren", affirme N. R. Jenzen-Jones de l’Armament Research Services, un cabinet conseil en armement, qui élabore actuellement un report sur le rôle ce type armes dans les zones de conflits actuels.
Une protection pour les djihadistes
Cependant, au-delà du volume important, ce qui rend si problématiques ces champs de mines c’est qu’ils forment une barrière de protection infranchissable vers la frontière libyenne. En recrutant des guides locaux ayant une bonne connaissance du désert, des convois de 4X4, qui traficotent presque tout, sont les seuls à aller dans ces endroits inhospitaliers. Ils n’ont pas peur de tomber sur des patrouilles militaires qui ne s’aventurent jamais dans la zone. "C’est presque un refuge pour eux", affirme Shazly.
Dans le but, à la fois, de résoudre le problème de sécurité posé par ces mines et de libérer cette vaste zone potentiellement riche en pétrole, les autorités égyptiennes affirment accélérer les efforts de déminage. Au moins, trois millions de mines ont été ôtées depuis 1981, libérant une surface de près de 300.000 hectares selon l’armé. Le gouvernement égyptien affirme que le reste devrait être nettoyé dans les trois prochaines années.
Colère des Bédouins
Mais dans ce désert dont les habitants sont quelquefois en connivence avec les djihadistes, ce n’est pas partie gagnée. Des travailleurs amércains et croates ont été kidnappés et tués après deux ans de detention au moment où les djahidistes menaient des attaques contre l’armée égyptienne. Huit touristes mexicains ont été confondus à des combattants de l’EI par un hélicoptère Apache de l’armée égyptienne. Ils ont été tués.
Quelques mois auparavant, une prospection pétrolière d’une compagnie française a failli subir le même sort, selon un travailleur américain qui s’est livré à Newsweek, en gardant l’anonymat. Depuis lors, les compagnies étrangères ont adopté un système de drapeaux colorés pour éviter d’être pris en cible par l’armée.
Néanmoins, la plupart des Bédouins sont surtout en colère contre ceux qui ont choisi de semer ces champs de la mort. "Ils se sont dérobés de leur responsabilité", affirme Ahmed Amer, à la tête d’une association des survivants des mines antipersonnel, basée à Marsa Matruh et qui défend les droits des victimes. Pour lui, la responsabilité des pays occidentaux est claire. "Ils ne peuvent pas venir ici, planter leur mines et repartir sur la pointe des pieds", affirme-t-il. "Ils doivent nettoyer cela".