Côte d’Ivoire: le Black Market d’Adjamé, le grand bazar d’Abidjan

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Le 17/10/2016 à 17h31, mis à jour le 17/10/2016 à 22h11

Le lieu est célèbre et tout Abidjan venait y faire ses emplettes d’appareils électroniques ou de vêtements à la mode depuis près de trois décennies. Le Black Market d’Adjamé, à la réputation pourtant sulfureuse, continue de «bluffer» les Ivoiriens, même si la concurrence se fait plus rude.

Le lieu est réputé dangereux, mais aussi idéale pour faire de bonnes affaires. L’ex gare de la Sotra –la compagnie publique de transports déplacée 500 mètres plus loin– est un repère incontournable pour tout Abidjanais. Pour les habitants de l’intérieur du pays, une visite à la capitale à l’époque passait nécessairement par un détour au «Black».

A Adjamé, une commune commerçante au centre de la capitale, non loin de la grande mosquée, l’endroit n’a pourtant rien de particulièrement attrayant. L’entrée de ce côté-là est embourbée par des «Gbakas» (véhicules de transport en commun) et une circulation humaine particulièrement dense, donnant l’image d’un grand désordre.

Il faut juste s’enfoncer quelques mètres dans cette rue pour enfin arriver sur ce lieu de sulfureuse réputation. C’est un repère connu des pickpockets, des voyous de tous acabits où se déroule toute sorte de trafic, même de drogue selon certaines langues. Les histoires sur les agressions dans ce lieu ne manquent pas. «Faire ses emplettes au Black et en ressortir sans accrocs est considéré comme un exploit et même une petite victoire» raconte-t-on.

En dehors des habitués des lieux, les passants pressent le pas et les mains sont bien accrochées au sac pour les dames, pour qui la consigne est «pas de bijoux au Black».

Cette rue principale mal entretenue est occupée par les vendeurs d’appareils mobiles d’occasion. Depuis le dernier née de Samsung ou d’Apple jusqu’aux «chinetoc's», on y trouve de tout entre les mains de ces jeunes, assis derrière des tables vitrées, qui inspirent plus la méfiance que la confiance. C’est ici le paradis des pick pocket. «Mon vieux vient, pour se renseigner c’est gratuit …, on fait aussi des trocs», harcèlent des rabatteurs dont l’insistance donne de petites frayeurs. Mais peu de personnes résistent à l’idée de faire de bonnes affaires, malgré les appréhensions.

A cet endroit, où la circulation humaine est particulièrement dense, il est conseillé d’avoir tous ses sens en alerte. Bijoux, portefeuillex, appareils portables, à la moindre inattention, l’on risque de se faire dépouiller.

«Nous avons des gens qui viennent nous proposer leurs appareils. Le plus souvent, ils viennent les échanger contre d’autres téléphones de seconde main plus en vogue ou même du neuf, c’est comme ça qu’on s’approvisionne», justifie Marius derrière un comptoir vitré sur le trottoir, sans nier pour autant qu’il existe bien un réseau de recel d’appareils mobiles volés. «Il y a des gens ici, confie-t-il, qui peuvent retrouver ton portable volé ici au Black». «Il arrive que des personnes qui ont des images ou vidéo intimes compromettantes dans leurs appareils volés, parviennent à contacter des gens ici au Black pour récupérer rapidement leurs appareils dans les heures qui suivent, mais ça, ça coûte très cher». Une chance que tous n’ont pas… au grand plaisir des réseaux sociaux.

Quant à la fiabilité des appareils vendus, aucune garantie ne peut être donnée. Marius nous indique alors un petit baraquement en bois où se trouve un jeune d’une vingtaine d’année prénommé Amadou, connu pour son expertise dans la réparation de téléphone.

«J’ai appris tout seul, sur le tas en bricolant», nous reçoit volontiers ce dernier. «Il y a des gens qui ont été formés à l’université ou dans les grandes écoles, mais moi j’ai appris à bricoler et maintenant je sais tout sur les appareils», précise-t-il, en s’affairant sur un smartphone démonté. Le jeune crack ploie sous le poids des appareils (mobiles et ordinateurs) et des sollicitations.

Derrière ces étales érigés sur le trottoir, l’on retrouve le grand bazar, une succession de petits couloirs bordés par des magasins. Il faut entrer dans l’un des couloirs pour se rendre compte du bouillonnement qui y règne avec des centaines de magasins à perte de vue.

Le bazar offre un climat plus paisible et confiant où se succèdent inlassablement les clients. L’insécurité ? «Tout ça, c’était avant, maintenant on veille sur la sécurité», soutient Sérifou. «Mais on ne peut pas tout contrôler, poursuit-t-il; il y a des agressions, mais pas comme avant». Dans son magasin exigu, l’homme s’est spécialisé dans la vente d’appareils mobiles et accessoires neufs. Là comme dans les magasins environnants dominent les marques asiatiques, chinoises en particuliers. Les grandes marques sont à peines visibles. Le petit endroit est plein à craquer, mais rassure-t-on à démi-mot, les affaires sont florissantes.

Jusque à côté, un de ses compatriotes nigérian propose des écrans plasma et led, les derniers modèles d’Apple et de Samsung, et toute une série d’autres appareils mobiles neufs et d’accessoires et gadgets high tech de dernière génération, bien disposés. «Il y a les appareils originaux, les contrefaçons, tout dépend de ce qu’on est prêt à débourser». il n’est pas en effet rare de se faire anarquer.

Sérifou nous conduit plus loin vers son «frère», dans un autre magasin après dix minutes de marche dans ce qui ressemble à un labyrinthe sans fin. On y trouve du Dolce Gabbana, du Lacoste, Gucci, des parfums de luxe, des montres contrefaites, et même des chaussures en cuir italiennes ou encore des «Sebago made in Morroco». Est-ce vraiment des originaux? «Même les boss viennent ici pour acheter moins chers», rétorque le jeune homme qui propose un T-shirt de la marque au crocodile à 50.000 FCFA (un peu plus de 76 euros) qu’il est possible de négocier, à la tête du client.

Ces marchandises, on les retrouve partout, dans tous les recoins du bazar, dans des magasins tous aussi exigus les uns que les autres, où se côtoient des Ivoiriens, Nigérians, Sénégalais, Maliens, Nigériens, etc., l’Afrique de l’ouest en miniature.

Ces marchandises qui viennent le plus souvent de Chine, de «Dubaï» –terme utilisé pour désigner les pays du Moyen-Orient– et de plus en plus Turquie et accessoirement du Maghreb, ont fait bien de fortunes, plus hier qu’aujourd’hui cependant. Dans une Côte d’Ivoire qui bat le record de la croissance en Afrique, l’enthousiaste de nos commerçants est réel même s’ils reconnaissent que la concurrence est plus grande.

«Les ventes vont bien, mais maintenant les clients vont de plus en plus ailleurs, notamment à la Gare de Bassam» rétorque Sérifou. Le Black a en effet perdu un peu de son lustre à cause de sa réputation.

La Gare de Bassam, un grand carrefour dans la commune de Treichville (dans la partie sud de la capitale) a vu naître un autre «Black» et tend à devenir un centre important de vente appareils électroniques, et autres vêtements et accessoires. Il y a aussi de petits bazars sur ce modèle qui se sont constitués dans les autres communes, mais surtout, l’apparition de grands centres commerciaux et du commerce en ligne ont détournés «les boss» et une partie de la clientèle du Black.

Dans un sursaut, les commerçants de la zone, d’ordinaires réticents aux opérations «ville propre», avaient dernièrement apporté leur appui au gouvernement dans le cadre de la destruction des installations anarchiques aux abords du «Black». Une tentative pour essayer de redorer le blason d’un lieu qui n’est plus le seul à alimenter la frénésie d’achat des Ivoiriens.

«Le Black reste le Black, mais il faut reconnaître que les choses sont en train de changer» reconnait Sérifou. A terme, à moins de redorer le blason, ce haut lieu du shopping à bon prix pourrait de moins en moins alimenter la frénésie d’achat des Ivoiriens. Mais pour l’heure, Sérifou et les siens ont les regards tournés vers les fêtes de fin d’année, une période qui tiendra encore ses promesse.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 17/10/2016 à 17h31, mis à jour le 17/10/2016 à 22h11