L'actrice Moesha Boduong avait confié dans une interview à la chaîne américaine CNN avoir eu une relation sexuelle avec un homme marié pour pouvoir payer ses factures et son loyer. "Au Ghana, le (système) économique est tel que vous avez besoin de quelqu'un pour prendre soin de vous. Vous ne pouvez pas gagner suffisamment d'argent en tant que femme ici", affirmait-elle dans l'entretien diffusé samedi aux Etats-Unis.
Une phrase qui a déclenché la colère de nombreux Ghanéens sur les réseaux sociaux et de vives critiques de responsables politiques, estimant qu'elle "rabaissait" l'image des femmes dans leur pays. L'actrice a rapidement publié des excuses sur Twitter et affirmé que son expérience personnelle "ne reflétait pas ce qui se passe dans la plupart des foyers".
Mais le mal était fait. Moesha Boduong a touché une corde sensible dans ce pays conservateur où le harcèlement sexuel est un phénomène répandu mais tabou. Les scandales de "notes contre du sexe" dans les lycées et universités font régulièrement la une des journaux au Ghana comme dans d'autres pays de la région.
C'est le cas au Nigeria, où les allégations d'une étudiante, qui dit avoir enregistré une conversation avec un professeur de fac lui demandant de coucher avec elle en échange d'une bonne note à un examen, ont fait couler beaucoup d'encre récemment. "Les histoires de professeurs qui cherchent à satisfaire leurs pulsions sexuelle sans se préoccuper du traumatisme mental et émotionnel dont souffrent leurs victimes sont fréquentes", écrivait vendredi l'éditorialiste nigérian Monday Philips Ekpe, dans le quotidien ThisDay. "Certains de ces hommes sans scrupules qualifient les filles de +gibier+".
Au Ghana, une enquête a également été ouverte sur des cas de harcèlement sexuel dont auraient été victimes des lycéennes de la part du personnel de leur établissement dans la région d'Ashanti (centre).
Il est courant que "les professeurs harcèlent (leurs élèves) pour coucher avec elles et leur accorder ainsi des bonnes notes", a expliqué à l'AFP Maame Akua Awereba, une représentante de l'ONG Pepper Dem Ministries, qui milite pour l'égalité hommes-femmes.
"Regardez le système, c'est lui qui donne le pouvoir aux hommes tandis que les filles doivent faire ces choses pour gagner de l'argent afin de (payer) des choses aussi basiques qu'un loyer", a-t-elle ajouté.
- "Crime" -
Dilys Sillah, fondatrice d'une association engagée dans la prévention contre les abus sexuels à Londres et à Accra, déplore la protection dont bénéficient souvent les hommes avec un certain statut social, décourageant les victimes de les dénoncer.
"Quand ces gens-là commettent certains crimes, personne n'ose se lever et dire quoi que ce soit. Il y a même certaines situations où d'autres victimes peuvent être impliquées mais elles ne parleront pas", affirme-t-elle. Dans le cas du harcèlement sexuel à l'école, les jeunes filles sont d'ailleurs souvent considérées comme responsables de leurs actes. Début avril, deux soeurs ghanéennes ont été emprisonnées après avoir agressé physiquement un professeur qui leur avait proposé un "accord" pour "améliorer" leurs notes.
"Tant que nous n'aurons pas reconnu que l'exploitation sexuelle des enfants est réelle et que c'est un crime, nous continuerons d'accuser la victime", estime Mme Sillah. "Nous devons mettre la responsabilité sur l'adulte".
Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Ghanéens estiment le moment venu de suivre l'exemple du mouvement #MeToo, lancé aux Etats-Unis par des femmes victimes d'abus ou de harcèlement sexuel, qui a connu ces derniers mois un succès foudroyant dans le monde entier.
Pour George Ossom-Batsa, professeur de religion à l'Université du Ghana, l'actrice Moesha Boduong a le mérite d'avoir été honnête, et d'avoir relancé le débat. "Au lieu de la condamner, on devrait saluer (ses propos) pour conscientiser la société sur ce qui se passe réellement sur le terrain", a-t-il déclaré. "C'est de cette manière seulement que les maux de la société pourront être combattus ou résolus".