Ethiopie: les démons de l'ethnicisme s'emparent d'Addis Abeba

DR

Le 19/09/2018 à 08h01, mis à jour le 19/09/2018 à 08h03

Ce jour-là, de jeunes hommes ont investi le voisinage de Askale Adacha armés de bâtons et de machettes, et ont accosté sa fille de 15 ans devant leur maison... Les violences ethniques qui étaient dans le monde rural ont migré vers la capitale depuis quelques temps.

Jeudi 13 septembre, Askale Adacha, une femme de 63 ans vivant chichement de ses travaux de tissage à Ashewa Meda, dans la banlieue de la capitale éthiopienne Addis Abeba, a perdu le peu qu'elle possédait.

Ce jour-là, de jeunes hommes ont investi son voisinage armés de bâtons et de machettes, et ont accosté sa fille de 15 ans devant leur maison. L'un d'eux a sorti un couteau et menacé de couper les seins de l'adolescente. "Ne faites pas ça à ma fille, faites-le à moi", a supplié la mère. Le jeune homme s'est ravisé mais le groupe a pénétré dans la chambre et, frappant le lit à coups de bâtons, en a fait sortir le fils terrifié de la sexagénaire.

"Je les suppliais: +s'il vous plaît, ne lui faites pas de mal, ce n'est qu'un enfant+", se remémore la maman, dans un entretien mardi à l'AFP. Mais ses suppliques sont restées vaines et la foule a emporté le garçon. "Je ne sais pas à présent s'il est vivant ou mort", explique Askale, désormais réfugiée dans un centre de jeunesse d'Addis Abeba reconverti pour l'accueil des victimes de la dernière flambée de violences.

Plusieurs faubourgs de la capitale éthiopienne ont été ces derniers jours le théâtre de violences similaires qui ont fait 23 morts pendant le weekend et attisé les tensions interethniques dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique.

Lundi, des manifestants en colère après les meurtres du weekend ont bloqué des axes routiers d'Addis Abeba lors de manifestations qui se sont soldées par cinq nouvelles victimes, tuées par les forces de l'ordre. L'internet mobile a plus tard était coupé dans la capitale.

"Ce type d'incidents ne se poursuivra pas", a promis mardi le Premier ministre Abiy Ahmed alors qu'il visitait des déplacés dans une école de la capitale. Mais le message d'apaisement du Premier ministre réformateur risque de ne pas bien passer auprès des victimes. M. Abiy est issu de l'ethnie oromo, la plus grande du pays, et Askale et d'autres victimes accusent précisément les Oromo d'être les auteurs des dernières attaques.

"Plus jamais je ne leur ferai confiance", explique Shibo Shino, en parlant de ses voisins oromo dans la localité de Burayu, touchée par les dernières violences. "J'y avais plusieurs maisons que je possède depuis 2005 et maintenant, je n'ai plus rien", ajoute-t-il, n'ayant pas la possibilité en l'état de retourner à Burayu.

Minorités ciblées

Selon les victimes de ces attaques interrogées mardi par l'AFP, les violences ont débuté jeudi pour se prolonger jusque dimanche et elles ont été perpétrées par des groupes d'Oromo ciblant des habitants issus de minorités ethniques. La capitale elle-même a été le théâtre d'échauffourées entre jeunes partisans du Front de libération oromo (OLF) - un ancien groupe rebelle dont les dirigeants en exil ont été autorisés à rentrer à Addis Abeba - et des habitants non-oromo.

Desta Hailu, habitante sans emploi d'Addis Alem, à environ 50 km à l'ouest de la capitale, raconte à l'AFP avoir été prise à partie par une foule hostile arborant les couleurs rouge et verte de l'OLF alors qu'elle rentrait chez elle chercher des médicaments.

"J'en ai entendu parmi eux qui disaient: +frappez-la, tuez-la+, se souvient Desta, de l'ethnie Dorzé. Elle a trouvé finalement refuge chez un voisin oromo qui s'interposa entre elle et la foule. A Burayu, la police de la région oromo est bien intervenue, selon Shino, mais elle n'a pu empêcher la foule de tuer trois personnes sous les yeux des forces de l'ordre. Puis de frapper un vétéran de guerre paralytique à coups de pierres et de bâtons, plus tard emmené à l'hôpital.

"Ils s'en sont pris aux Dorzé et aux Gurage", deux minorités ethniques du sud du pays, assure Shino, lui-même un Dorzé. Ce dernier, pas plus qu'Askale, ne comprennent les raisons de ce déferlement de violence.

"Nous vivions avec ces gens, nous nous faisions confiance mutuellement", explique la sexagénaire entre deux sanglots. "Je ne comprends pas pourquoi ils ont fait ça". Après avoir vu son fils emporté de force, Askale a assisté de loin au pillage en règle de son modeste logis alors qu'elle prenait la fuite.

Elle s'est ensuite cachée dans un abri avec une vingtaine d'autres habitants terrorisés qui étouffaient de la main les cris des enfants pour ne pas trahir leur présence, puis a finalement réussi à gagner la capitale samedi, avec l'aide de militaires déployés pour restaurer l'ordre. A présent, encore sous le choc, elle ne demande qu'une seule chose aux autorités: savoir où ont été enterrés les corps des victimes.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 19/09/2018 à 08h01, mis à jour le 19/09/2018 à 08h03