"Etre chiite sous le gouvernement Buhari (...) c'est être persécuté", affirme à l'AFP Ibrahim Musa, porte-parole du Mouvement islamique du Nigeria (IMN), dont plusieurs membres ont été abattus par les forces de l'ordre ces derniers jours.
"Nous avons subi plus de discriminations avec cette administration qu'avec n'importe quelle autre dans le passé", poursuit-il. "Nous ne sommes pas autorisés à vivre notre foi selon nos convictions".
A trois reprises en moins d'une semaine, l'armée et la police nigériane ont ouvert le feu sur des civils chiites qui manifestaient à Abuja, la capitale fédérale, pour célébrer une fête religieuse chiite et réclamer la libération de leur leader emprisonné depuis bientôt trois ans, sans avoir été jugé.
Le bilan, qui varie selon les sources, est lourd: six morts selon les autorités, 49 selon l'IMN, quand Amnesty International évoque 45 tués, dénonçant une "utilisation de force excessive et horrible qui avait pour but de tuer.
Alors que l'ambassade des États-Unis au Nigeria a demandé "une enquête approfondie", se disant "préoccupée" par ces violences, l'armée nigériane a contre-attaqué vendredi sur Twitter en citant Donald Trump sur les migrants sud-américains pour justifier la répression des chiites.
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Evoquant le sort de la caravane de migrants s'approchant de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, le président américain avait déclaré jeudi que toute personne jetant des pierres serait considérée comme armée de fusils.
"Non seulement ils (les chiites) utilisent des pierres mais ils transportaient également des cocktails Molotov, des machettes et des couteaux, alors oui, nous considérons qu'ils étaient armés", a déclaré vendredi à l'AFP le porte-parole de la Défense, John Agim pour justifier l'usage de la force.
L'ombre de Ryad et Téhéran
Ces violences n'ont rien de nouveau et viennent raviver le traumatisme de décembre 2015, lorsque plus de 300 personnes avaient été tuées par les militaires à Zaria, le fief de l'IMN dans le nord du pays, selon des ONG de défense des droits de l'Homme.
Le leader de l'IMN Ibrahim Zakzaky, arrêté et emprisonné suite à ces manifestations dans lesquelles il a perdu un oeil, conteste l'autorité d'Abuja depuis des années et souhaite établir un Etat islamique chiite à l'iranienne.
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Fin 2016, un tribunal fédéral avait jugé sa détention illégale et ordonné sa libération. Mais cette décision n'a jamais été exécutée.
L'IMN, apparu comme un mouvement étudiant en 1978 avant de muer en groupe révolutionnaire inspiré par la révolution islamique en Iran, est aujourd'hui encore proche de Téhéran et suscite une grande hostilité au Nigeria où l'élite musulmane sunnite ne cache pas ses affinités avec l'Arabie saoudite.
Le président Muhammadu Buhari et son principal adversaire de l'opposition Atiku Abubakar, lors de la présidentielle prévue en février 2019 au Nigeria, tous deux de confession sunnite, se sont d'ailleurs illustrés par un silence assourdissant ces derniers jours.
"Il y a cette idée que les chiites ne sont pas de vrais musulmans", estime le politologue Chris Ngwodo. "Ces divergences idéologiques fondamentales peuvent expliquer la férocité avec laquelle le régime a réprimé ces manifestations".
Dans le nord principalement musulman du Nigeria, l'IMN a un rival de poids, le mouvement salafiste Izala ("Ceux qui prônent un retour à l'enseignement du prophète" Mahomet), fondé la même année par un religieux saoudien.
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Ce groupe entretient des relations étroites avec Ryad et le gouvernement nigérian, et sa chaîne de télévision satellitaire, Manara, use d'une rhétorique violemment anti-chiite. Ses membres ont d'ailleurs affronté plusieurs fois les partisans de l'IMN lors de processions religieuses chiites.
Izala reçoit également des fonds d'Arabie saoudite qui ont notamment permis la construction de mosquées et d'écoles dans le pays.
"De nombreux membres du gouvernement actuel sont membres de l'Izala", affirme à l'AFP une source bien informée d'Abuja, sous couvert d'anonymat. "A l'intérieur de l'establishment politique, certains utilisent la force publique pour leur combat religieux contre ce qu'ils considèrent être de l’apostasie".
En attendant, la réponse brutale de l'armée et la détention dans un lieu secret du leader chiite Zakzaky font craindre aux observateurs une escalade de la violence.
"Zakzaky est très charismatique et le mouvement ne s'essouffle pas, ses partisans sont prêts à mourir pour défendre sa cause", estime Cheta Nwanze, du cabinet de sécurité SBM Intelligence. "La répression ne peut que contribuer à les radicaliser".
L'homme, très affaibli après une attaque, selon son avocat, et détenu dans un lieu tenu secret par la DSS - les services de renseignements nigérians - doit comparaitre devant une cour de justice le 7 novembre.