Après trente-sept ans d'un règne autoritaire, la démission du "camarade Bob" en novembre 2017 avait été accueillie par un immense "ouf" de soulagement. Moins d'un an et demi plus tard, sa politique ruineuse pour l'économie, ses extravagances et la répression quotidienne exercée par ses forces de sécurité semblent déjà bien loin dans l'esprit de certains de ses compatriotes.
"Mugabe nous manque", lâche sans faux-semblant une habitante de la capitale Harare, Anita Mugombedzi. "Au vu de ce qui se passe maintenant, le Zimbabwe risque de tomber plus bas qu'au pire de son ère."
Comptable au chômage, Edmond Jera ne dit pas autre chose. "Mugabe a fait des erreurs mais il n'était pas aussi impitoyable que ceux qui lui ont succédé", estime-t-il. "Nous pensions que ça irait mieux (...) mais plein de gens disent maintenant que c'était mieux sous Mugabe."
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Lorsqu'il a pris les rênes du pays que lui tendaient l'armée et le parti au pouvoir, la Zanu-PF, Emmerson Mnangagwa avait promis à un pays exsangue rien moins que la fin de la crise. C'est peu de dire que, jusque-là, il a échoué. Le taux de chômage dépasse toujours les 90%, les dollars et les investisseurs continuent de fuir le pays.
Pire, le pays a renoué ces derniers mois avec une forte inflation (56,9%) et les pénuries (huile, pain, médicaments, pétrole...).
"Pire qu'avant"
Le mois dernier, la décision du gouvernement de multiplier par deux et demi le prix des carburants a mis le feu aux poudres. A l'appel du principal syndicat du pays, la population est descendue dans la rue. Barricades, pillages, la colère sociale a viré à la fronde contre le chef de l'Etat.
Sa riposte a été d'une rare violence. Au moins dix-sept morts, selon les ONG, des centaines de personnes passées à tabac, des viols même, et plus d'un millier d'arrestations. L'opposition et la société civile ont dénoncé une répression pire qu'aux heures les plus noires de l'ère Mugabe.
"Mugabe a eu ses nombreuses transgressions, mais il semble que mon collègue M. Mnangagwa redouble d'efforts pour allonger la liste de ces transgressions", a déclaré ironiquement le chef de l'opposition, Nelson Chamisa. Pressé par ses adversaires et les capitales étrangères, M. Mnangagwa a justifié sa fermeté par la nécessité du maintien de l'ordre et promis des sanctions contre les auteurs, policiers ou militaires, de dérapages.
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Cet épisode semble avoir redoré par défaut le blason de son prédécesseur. "Beaucoup de choses que Mugabe a faites le rendent meilleur que ceux qui ont pris le pouvoir", estime un habitant de Harare, Wright Chirombe. L'ex-président a gardé des admirateurs dans les rangs du parti au pouvoir, la Zanu-PF. "Nous nous souviendrons de son travail révolutionnaire", assure Pupurai Togarepi, patron de sa ligue des jeunes.
Les nouvelles autorités ont ainsi fait de son anniversaire, le 21 février, un jour férié rebaptisé - sans ironie apparente - "Journée nationale de la jeunesse Robert Mugabe".
Vieillir "en paix"
Depuis son départ, l'ex-maître absolu du pays s'est fait discret. Une conférence de presse à la veille des élections du 30 juillet dernier, son déplacement à un bureau de vote pour faire son devoir électoral, puis les obsèques de sa belle-mère.
Sa santé semble avoir beaucoup décliné. Récemment, M. Mnangagwa a révélé qu'il ne marchait plus. Raillé lorsqu'il s'accrochait au pouvoir, l'âge de M. Mugabe suscite aujourd'hui la mansuétude. "On ne peut pas haïr quelqu'un jusqu'à sa mort", a justifié sur Twitter l'avocat Pedzisai Ruhanya. "Pourquoi ne pas le laisser vivre ses derniers jours en paix et, plutôt, se concentrer sur ceux qui violent les droits de l'homme aujourd'hui !"
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Comme l'an dernier, M. Mugabe devrait fêter son anniversaire dans la plus stricte intimité, soit au Zimbabwe soit à Singapour, où il est régulièrement soigné. L'ère des ripailles officielles des dernières années de son règne, choquantes dans un pays si pauvre, est révolue.
"Ce jour va passer sans la pompe et le faste d'avant", se félicite l'analyste Rushweat Mukundu, de l'Institut pour la démocratie au Zimbabwe. "Mugabe n'a rien laissé de durable au pays, juste un Zimbabwe divisé", estime-t-il, "ça devrait servir de leçon à ceux qui sont au pouvoir aujourd'hui: comme Mugabe, ils n'échapperont jamais à leurs méfaits".