Soudan: des milliers de personnes victimes de la "mort silencieuse"

Des femmes victimes de la "mort silencieuse".

Des femmes victimes de la mort silencieuse.. DR

Le 11/09/2020 à 14h20, mis à jour le 11/09/2020 à 14h39

Le mycétome touche des milliers de Soudanais. Provoqué par une bactérie ou un champignon, il ronge la peau, la chair et les os et mène souvent à des amputations.

Khadija Ahmad plantait des oignons au Darfour quand elle a marché sur une épine, qui a traversé sa sandale. Elle n'y a pas pris garde jusqu'à ce que son pied gonfle et qu'apparaissent des fistules. Elle était victime du mycétome.

Au Soudan, il est surnommé la "mort silencieuse". Non que cette maladie incurable mangeuse de chair soit très mortelle (5% des cas), mais elle détruit la vie et le corps des personnes infectées, qui subissent amputations et malformations. C'est le calvaire vécu par cette femme pauvre de 45 ans.

"Au début, je ne souffrais pas. Juste une grosseur. On a pensé que cela passerait, mais le mal a empiré", raconte-t-elle, lors d'une récente visite au Mycetoma Research Center (MRC) à Khartoum, où ses enfants n'ont jamais pu l'amener, forcés de travailler aux champs.

"J'ai attendu neuf ans avant de venir. A mon arrivée, c'était trop tard. Il a fallu m'amputer", ajoute-t-elle en tenant sa prothèse rudimentaire tandis qu'un médecin examine sa jambe gauche amputée puis lui administre des médicaments qu'elle devra prendre à vie.

Elle "habite très loin, près d'El-Facher", chef-lieu du Nord-Darfour, à un millier de kilomètres à l'ouest de la capitale soudanaise.

Le mycétome est provoqué soit par une bactérie, soit par un champignon après une piqûre d'épine, dans la plupart des cas, et il détruit insidieusement la peau, les os et les muscles.

C'est l'une des maladies tropicales négligées (MTN), selon la classification de l'Organisation mondiale de la santé. Elles prolifèrent dans la chaleur et l'humidité des climats tropicaux.

- "Terribles stigmates" -

"Cette maladie progresse sournoisement, cela peut prendre plusieurs années (...) et peut apparaître sur n'importe quelle partie du corps", explique le professeur Ahmed Hassan Fahal, fondateur et directeur du MRC qui fonctionne en partie avec des dons.

"Elle laisse de terribles stigmates, provoquant des difformités et des invalidités. On peut dire que 60% des personnes atteintes (...) ont des membres déformés", explique-t-il. "Elles ne peuvent pas marcher normalement. Elles voient leur vie sociale gâchée, certaines ne peuvent plus travailler et sont à la charge des familles", ajoute-t-il.

Depuis sa création en 1991, le centre a traité gratuitement 9.000 patients venus de tout le pays. Environ 20% doivent être amputés d'un pied, d'une jambe ou d'une main. Mais les malades sont bien plus nombreux en réalité.

Les victimes du mycétome, qui n'est pas contagieux, "sont les pauvres parmi les pauvres, qui vivent dans des villages reculés et sans ressources. On peut dire que ceux qui arrivent ici sont, dans leur malheur, les plus chanceux", relève M. Fahal.

La maladie affecte surtout les jeunes, principalement des ouvriers agricoles ou des bergers, qui marchent souvent pieds nus.

- Une quarantaine de pays -

Dans l'hôpital ultramoderne du MRC, 30 médecins traitent 400 patients par semaine dont 5% viennent de la "ceinture du mycétome", c'est-à-dire une quarantaine de pays des zones tropicales ou subtropicales (Ethiopie, Inde, Mexique, Venezuela, Sénégal, Tchad, etc.).

Mais sa grande fierté est son laboratoire de pointe et un centre de recherches unique au monde sur cette maladie.

Dans une salle d'examen se trouve Walid Nour al-Dayem, 22 ans, dont le pied gauche est gonflé et le pansement souillé de sécrétions. Accompagné de son père, il arrive du village de Managil, dans l'Etat de Jazira (centre).

"Il y a un an, je fauchais le blé quand j'ai marché sur une épine. Sur le moment, je n'ai pas senti grand-chose, mais par la suite cela a empiré. J'ai été à l'hôpital et ils m'ont dirigé sur ce centre. Maintenant j'attends d'être fixé sur mon sort", dit-il, visiblement abattu.

Un prélèvement doit déterminer si son mycétome est provoqué par un champignon -70% des cas au Soudan- ou par une bactérie, car le traitement est différent.

La maladie se soigne plus facilement, avec des antibiotiques sur plusieurs années, s'il s'agit d'une bactérie. Les médicaments restent à l'heure actuelle relativement inefficaces sur les champignons et le traitement est lourd.

"Nous avons commencé en 2017 un grand projet de recherche dont l'objectif est de mettre au point, d'ici deux ans, avec un laboratoire japonais et une ONG basée à Genève, un nouveau médicament efficace contre la bactérie et le champignon avec un traitement réduit à un an. Si nous réussissons ce serait une grande première", se réjouit M. Fahal.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 11/09/2020 à 14h20, mis à jour le 11/09/2020 à 14h39