Après plusieurs jours de consultations, la Fédération sud-africaine d'athlétisme (ASA) va déposer un recours auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS) contre le nouveau règlement, jugé "biaisé", édicté par la Fédération internationale (IAAF). Présenté la semaine dernière, il impose, à compter du 1er novembre, aux femmes qui produisent naturellement beaucoup de testostérone de baisser ce niveau par un traitement pour pouvoir participer aux courses du 400 m au mile (1.609 m).
L'IAAF a fondé sa décision sur une étude scientifique, financée par elle, qui a conclu que cette hormone produite en grande quantité donnait un avantage "significatif" dans certaines épreuves. Elle a eu beau souligner que la nouvelle règle avait "pour unique finalité de garantir une compétition juste et pertinente", elle a provoqué un tollé en Afrique du Sud.
Sportifs et politiques n'y ont vu qu'une volonté délibérée d'écarter "leur" reine du demi-fond Caster Semenya, double championne olympique du 800 mètres. Cette décision "sexiste (...) ostracise certains individus, à savoir les femmes, pour aucune raison si ce n'est le fait qu'elle sont nées ainsi", s'est indigné Steve Cornelius, professeur à la faculté de droit de Pretoria, qui a immédiatement remis sa démission du tribunal disciplinaire de l'IAAF.
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"Ma conscience m'interdit de continuer à m'associer à une organisation" qui adopte une régulation "basée sur la même idéologie que celle qui a conduit aux pires injustices", a-t-il écrit au patron de l'IAAF, le Britannique Sebastian Coe. Une allusion transparente au régime raciste de l'apartheid en Afrique du Sud, aboli officiellement en 1994. Mais aussi à tous les pays où des individus ont été "contraints de suivre des traitements ou étaient exhibés comme des animaux de foire parce qu'ils étaient simplement différents", a-t-il précisé à l'AFP.
Des sportifs ont aussi fait part de leur écoeurement. "Je ne crois pas en une réglementation sur la participation des femmes dans le sport parce qu'elles ne correspondent pas aux critères occidentaux de la féminité", s'est insurgée la Canadienne Ercia Wiebe, championne olympique de lutte.
"#Caster est en or #Non aux règles de l'IAAF", a réagi l'ancienne sprinteuse sud-africaine Géraldine Pillay-Viret.
Caster Semenya, qui a dû encaisser de nombreuses questions sur sa féminité depuis son premier titre mondial en 2009, a répondu à l'IAAF en gardant la tête haute. "Dieu m'a créée ainsi, et je l'accepte. Je suis fière de qui je suis".
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La jeune femme à la voix grave et à la carrure imposante est intersexuée, comme 0,1 à 0,4% de la population mondiale. En clair, une sécrétion excessive d'androgènes provoque chez ces femmes une hausse du niveau de testostérone, qui accroît la masse musculaire et donc les performances. Une sorte de dopage génétique involontaire qui a valu à Caster Semenya d'être suspendue pendant onze mois et de devoir subir une série de tests médicaux.
Comme souvent dans une Afrique du Sud toujours meurtrie par des décennies d'apartheid, l'affaire a pris une tournure raciale. La ministre des Sports, Tokozile Xasa, a dénoncé une décision "extrêmement sexiste, raciale et homophobe". Le parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), s'est insurgé contre des "règles anti-sportives", "injustes et ouvertement racistes" qui "rappellent douloureusement notre passé".
Même le puissant syndicat sud-africain des mineurs s'est invité dans la polémique. "Va-t-on couper les jambes des basketteurs les plus grands sous prétexte qu'ils ont un avantage anormal à cause de leur taille", s'est-il interrogé avec ironie.
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La fédération canadienne d'athlétisme a aussi pris la défense des athlètes hyper-androgènes, faisant part de "ses sérieuses inquiétudes" après l'adoption de la nouvelle réglementation. "Le principal problème" dans la décision de l'IAAF est que "la science n'est pas concluante", poursuit Steve Cornelius. "La science sur laquelle l'IAAF se fonde a été remise en cause dans des revues spécialisées", assure-t-il.
Pire, les travaux scientifiques utilisés par l'IAAF ne soutiennent pas sa nouvelle réglementation, affirment même plusieurs experts. Ils mettent en évidence une différence de performances dans le saut à la perche et le lancer du marteau, mais pas dans le 1.500 m. Or, si les deux premières disciplines ne sont pas soumises à la nouvelle réglementation, le 1.500 m, lui, l'est...
L'Américaine Tianna Bartoletta, spécialiste du saut en longueur, se dit d'ailleurs "étonnée" par les épreuves affectées par le nouveau réglement, que réclamaient certaines athlètes féminines. L'IAAF "a fait preuve de malhonnêteté", prévient Steve Cornelius, "devant la justice ils vont avoir du mal à se justifier."