Côte d'Ivoire: le Zouglou, la musique urbaine ivoirienne qui va à la conquête du monde

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Le 26/11/2016 à 08h31, mis à jour le 26/11/2016 à 08h33

Au début des années 1990 apparaît un genre musical impulsé par un groupe d’étudiants désireux d’exprimer leur mal être dans un contexte de crise économique et politique. Depuis, le zouglou à traversé les frontières et conquis la planète comme tête d’affiche le groupe Magic System.

Ce début 1990, la Côte d’Ivoire entre dans une nouvelle ère de bouleversement politique, mais était loin de s’imaginer l’avènement d’une révolution musicale. Après deux décennies fastes –le pays avait connu un développement fulgurant de 1960 à 1980 avec une période de croissance a deux chiffres– la Côte d’Ivoire achevait les années 1980 en demi teinte, frappé de plein fouet par une conjoncture défavorable, provoquée par la chute des cours du café et du cacao et la hausse des cours du pétrole.

Le discours de La Baule qui souffle le vent de la démocratie sur le continent fait sortir de la clandestinité le FPI, le parti de Laurent Gbagbo, qui surfe sur le mécontentement suscité par la rigueur des politiques d’austérité imposées par les institutions de Bretton Woods. Suppression des subventions, licenciement de fonctionnaires, la grogne sociale couvait.

Les mesures touchent les universités alors en ébullition et qui défient le pouvoir par des mouvements de protestation inédits. Un groupe de jeunes étudiants, conduit par Bile Didier, pousse alors la chansonnette pour décrier des conditions de vie de plus en plus difficiles sur les campus et associe à son rythme typique une danse : les deux mains superposés tournées vers le ciel, les pieds esquissant alors des pieds en zig zag. Ainsi nait ce qui est appelé le «zouglou». Pour en comprendre les motivations, il faut se référer au tube «Gboglokoffi» de Bile Didier : «…. Oooo bon Dieu, qu’avons-nous fait pour subir un tel sort. C’est cette manière d’implorer le Seigneur qui a engendré le zouglou …».

La chanson fait un tabac à l’époque dans un pays où la parole se libère et où la critique sociale devient possible. Ce genre musical va se rapprocher d’un autre style urbain populaire, le «woyo», et le phagociter. Le Zouglou sort du cadre universitaire pour être adopté par des instruits ou non qui y trouvent un moyen d’expression. Avec une pièce en métal, une bouteille, un tam-tam, et des grelots, la corruption, les pesanteurs culturelles, les dérives sociales, etc., sont dénoncées en chansons avec un brin d’humour. Le Zouglou est plébiscité par les masses populaires et le succès est grandissant en Afrique subsaharienne et dans la diaspora africaine.

Et l’autre originalité est que le français est associé aux langues locales, le bété , le malinké, le baoulé, etc., sans oublier le «nouchi», de quoi rassembler tout un pays et une jeunesse confrontée aux mêmes réalités créant ainsi un sentiment d’unité en laquelle tous les Ivoiriens se reconnaissent.

Les jeunes qui se sont appropriés cette musique vont faire face à la fronde de leurs parents plus adeptes de la rumba congolaise, du «Zigligbity» d’Ernesto Djedje ou du «polihet» de Gnahore Jimmy. Les critiques les plus acerbes viendront de l’intellectuel ivoirien Tiburce Koffi qui parlait d’une «succession de bruits discordants, mal agencés» pour qualifier cette musique. N’empêche, de nombreux artistes ou groupes sont révélés (comme «Les poussins Chocs», «Les Salop de l’art», «Espoir 2000», «les garagistes», «Petit Denis», etc.) au public ivoirien, au point où dans les années 1990-2000, le Zouglou était le genre musical dominant dans le pays. 

Le tournant Magic System

Le Zouglou s’imposait sur le continent, du moins en Afrique francophone, mais avait du mal à intéresser le monde occidental. Après un premier album passé quasiment inaperçu, le groupe de jeunes venus d’Anoumabo, un village situé en plein cœur d’Abidjan, sort, début 2000, l’album «Premier Gaou». La chanson éponyme qui met à nu l’attitude trop intéressée d’une «go» entraîne un raz de marrer planétaire. Dix après sa création, le Zouglou franchissait un nouveau cap et allait à la conquête du monde.

Le groupe enchaînait les tubes et les succès non sans subir à un certain moment les critiques des «puristes» qui ne retrouvaient plus les tonalités des battements si caractéristiques du tam-tam dans les albums des jeunes d’Anoumabo. «Nous sommes avons réussi à faire du Zouglou une musique qui plaît et qui se vend dans le monde entier» s’était défendu A’Salfo, le leader vocal du groupe. Et le succès des featuring réalisés avec des artistes comme Youssoufa, lui donne raison.

Nostalgie

Aujourd’hui, dans le sillage de Magic System, Espoir 2000, Yode et Siro, les Patrons, Petit Denis, etc. continuent de perpétuer cette musique avec des notes de modernité pour poursuivre la conquête du monde avec un succès intacte. Et de nouvelles générations comme «Les Patrons», «Zouglou Makers», «Revolution» suivent la tendance avec un accueil toujours favorable.

Cependant, la génération d’Ivoiriens qui a été bercée par les premiers rythmes du Zouglou sont de plus en plus nostalgiques des «sons originaux». Les premiers tubes de cette époque continuent de faire l’unanimité dans cette génération même si l’on résiste moins à la vague de modernité.

Aujourd’hui des espaces de divertissement sont même exclusivement dédiés au Zouglou. Le plus en vogue de tous est « l’Internat », un célèbre « maquis » installé au cœur de Yopougon, à Abidjan. Le lieu ne désemplit pas tous les dimanches après-midi où les «Zouglouphiles» peuvent s’enivrer de cette musique en live jusque très tard dans la nuit.

Également chaque année des événements culturels sont organisés autour du Zouglou et le FEMUA, le festival des musiques urbaines d’Anoumabo, est fait parmi de ceux qui lui donne une visibilité internationale.

Avec le temps, les thématiques abordées ont bien changés. L’on évoque de moins en moins le mal être social afin de mieux intéresser un public international. Les artistes ont su associer le coupé-décalé, la technologie, le rapport et même des rythmes maghrébins (avec Magic System). La force du Zouglou est donc sa capacité à s’intégrer aux rythmes internationaux et donc à se réinventer. Ce que l’on assimilait «une succession de bruit» a finalement survécu à bien de rythmes ivoiriens aujourd’hui disparus.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 26/11/2016 à 08h31, mis à jour le 26/11/2016 à 08h33