Les planteurs de cacao vont-ils entrer à leur tour dans le mouvement de grogne qui marque le pays en ce début d’année? Un groupe de planteurs a soulevé le problème dans une déclaration, en mettant en garde le gouvernement contre la mévente de leur production. «Nous sommes dans une situation de blocage des achats qui nous pénalise et nous enfonce toujours un peu plus dans la pauvreté voire dans la misère», a dénoncé le collectif dans la presse locale.
Avec un prix record d’achat aux paysans fixé à 1.100 francs CFA (1,68 euros) le kilo de fèves séchées, en début de campagne, en octobre dernier, Abidjan se montrait optimiste pour un marché du cacao qui achevait une saison 2015-2016 difficile, marquée par une offre en baisse de 100.000 tonnes, du fait de conditions climatiques peu favorables.
Côte d'Ivoire: la baisse pressentie des cours du cacao affole déjà Abidjan
Mais le vent devait tourner début novembre. Les cours mondiaux sont en effet passés d’environ 2.760 dollars en octobre à 2.160 dollars la tonne en ce début de semaine à la bourse de New York, soit une décote de près de 22% qui lui fait atteindre son plus bas niveau depuis trois ans. Selon les experts, la crise Ebola aux frontières de la Côte d’Ivoire et la crainte d’une vague de sécheresse avaient eu pour effet de doper les cours du cacao, déjà à la hausse depuis 2010. Et aujourd’hui, les industriels ont encore des stocks importants et on anticipe une meilleure récolte, sans compter le fait que la consommation asiatique de chocolat reste en deçà des attentes.
Cette tendance du marché avait déjà amené le Conseil café cacao (CCC), l’organe public en charge de la filière, à suspendre en novembre dernier son mécanisme de vente anticipé qui lui permettait de céder par avance une partie de la récolte de la prochaine campagne.
5 milliards de dollars de recettes d’exportation de cacao volatilisées entre 1995 et 2014
La déprime du marché devrait en principe conduire à un nouvel ajustement et à une réduction du prix d’achat aux paysans, option à laquelle les autorités ne veulent pas se résoudre. Une inertie que pourrait payer cher la filière ivoirienne.
En Côte d’Ivoire, sur les ports d’Abidjan et de San Pedro, les entrepôts des exportateurs débordent et les camions de poids lourds, chargés de fèves, font la queue dans la zone portuaire. «Le gouvernement nous contraint à acheter le cacao à un prix fixé en octobre mais entre temps les cours ont chuté et nous ne faisons quasiment plus de marge à la revente vu les charges fiscales. Il faut soit attendre et espérer des périodes de brèves remontées pour vendre, soit brader les produits pratiquement à perte vu qu’il est difficile de le conserver au-delà d'une certaine période sans en détériorer la qualité», explique un ex-agent du groupe américain Cargill, à la tête d’une coopérative d’exportation.
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La semaine dernière, le CCC avait entrepris une tournée pour rassurer les planteurs quant aux dispositions prises pour la reprise des exportations. Mais les effets se font attendre et dans les plantations, la tentation est de céder la production en deçà du prix officiel. «Un paysan qui a du mal à vendre son cacao depuis novembre dernier, pensez-vous qu’il va résister longtemps à une proposition d’achat au rabais quand on sait que c’est sa principale, sinon son unique source de revenu?», interroge Simeon Kouadio, planteur à Soubre, dans le centre-ouest ivoirien.
Reste à savoir quelles sont les voies que les autorités comptent employer pour décanter une situation de quasi blocage dans une filière qui fait vivre 6 millions d’Ivoiriens. Cette crise tombe au plus mauvais moment. A savoir dans un contexte de forte tension et de grogne sociale qui pèse sur les caisses de l'Etat. N'oublions pas que le cacao représente 50% des recettes d’exportation du pays.