Côte d’Ivoire: la grammaire française s'invite dans la réforme de la nouvelle constitution

Alassane Ouattara recevant une copie de l'avant-projet de la nouvelle constitution ivoirienne.

Alassane Ouattara recevant une copie de l'avant-projet de la nouvelle constitution ivoirienne.. DR

Le 11/10/2016 à 17h07

Le texte de l’avant-projet de constitution serait-t-il truffé de fautes ? Conçu et rédigé par d’éminents enseignants d’université et validé par les services de la présidence de la République, le projet dans sa formulation est revu et corrigé par les puristes de la langue de Molière.

Que reproche-t-on réellement à la nouvelle constitution ivoirienne? A cette question, l’on se perd parfois en conjectures, tant les avis sont partagés. Si l’opposition crie sa détresse de n’avoir pas été convié à l’écriture du nouveau texte fondamental, du côté du pouvoir on met en avant les grandes avancées qui viendront consolider la paix et la stabilité retrouvées.

Et à défaut de trouver à redire sur le fond (malgré des critiques sur certains articles (comme la levée de l’âge plafond des candidats à la présidentielle), l’on s’attarde sur des incohérences de forme et des points de grammaires qui ont pu malgré tout échapper à la perspicacité de la vingtaine «d’experts» commis à la rédaction du document.

Le début de l’exercice a démarré vendredi dernier lors de l’examen du projet en commission parlementaire. L’article 2 du projet qui dispose que «Tout individu a droit à la dignité…» devient «tout individu a droit au respect de sa dignité…». L’article 21 qui soutient «tout citoyen a le droit de se déplacer et de se fixer…» a fait place à "tout citoyen a le droit de … s’établir …". Ou encore, «Le Gouvernement comprend le Premier ministre, Chef du gouvernement, et les autres ministres» (article 81) passe désormais à «Le Gouvernement comprend le Premier ministre, Chef du gouvernement, et les ministres».

Il aura fallu 13 heures de débat des députés devant les émissaires du gouvernement, pour s’accorder sur la formulation qui sied à la rigueur des représentants du peuple.

Ce mardi, dans une longue tribune, le professeur Martin Bléou, considéré comme l’une des sommités du droit du pays, a revêtu sa stature de «maître» pour corriger l’ensemble du projet constitutionnel qui présente «des faiblesses du point de vue de la forme …» : «… le souci de clarification, poussé à l’extrême, a produit, parfois, des effets fâcheux …» at-t-il avancé.

«… le texte évoque (art. 62) «l’empêchement absolu» comme l’une des conditions donnant lieu à la vacance du pouvoir». Or, poursuit-t-il, le terme «empêchement absolu» renvoie, «du point de vue de la pureté de la langue française», à la mort, laquelle est déjà évoquée dans le même article à travers l’hypothèse du décès. Partant,«le terme convenable est celui d’empêchement définitif»

Autre point de faiblesse, dans le préambule cette fois : «Le peuple assume sa responsabilité devant la nation…», puis au terme de cette partie du texte, l’on note «le peuple approuve et adopte solennellement devant la nation… la présente constitution» : qui est le peuple? Qui est la nation? N’est-ce pas la même personne ou la même entité?, s’interroge le professeur agrégé de droit public. «La nation étant le peuple habité du sentiment d’appartenance à un ensemble uni …, il paraît difficile de voir … deux entités distinctes dont l’une serait responsable devant l’autre». Aussi préconise-t-il de supprimer le terme «devant la nation» sans dommage pour la cohérence du texte.

L’article 85 du projet qui dispose que «le pouvoir législatif est exercé par le parlement» donne à entendre que «le pouvoir législatif a un sens fonctionnel», c’est-à-dire qu’il est une activité. Il convient de corriger en retenant la formule suivante : «Le pouvoir législatif est constitué du Parlement» selon le professeur Bléou.

Ce sont au total une vingtaine d’articles qui ont subi les critiques de l’enseignant d’université qui, dès le départ, avait dénoncé le projet de réforme en cours, évoquant même «un viol» de l’actuelle constitution.

Le projet de constitution qui sera adopté en assemblée plénière par le parlement ce mardi comporte au total 184 articles et fera l’objet d’un référendum.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 11/10/2016 à 17h07