Côte d’Ivoire: une ONG dénonce la résurgence des exécutions extrajudiciaires

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Le 09/12/2016 à 16h39

Six ans après la fin de la longue crise qu’a connue le pays, l’on enregistre un regain des exécutions extrajudiciaires sous diverses formes, s’inquiète le CIDH (comité ivoirienne des droits de l’homme), ONG locale. Une situation qui met à mal la fragile démocratie ivoirienne.

Ces exécutions sont le fait soit des forces de l’ordre, soit des populations elles-mêmes. Depuis le début de l’année ce sont une dizaine des cas d’incidents allant de conflits communautaires aux bavures policières en passant par des actes d’hostilité contre les forces de l’ordre que le CIDH a recensés. L’on citera par exemple le conflit entre communautés survenu à Bouna, au nord-est du pays, en mars avec des dizaines de morts, la révolte populaire contre les forces de l’ordre à Katiola, au centre du pays, après une bavure policière ou encore le meurtre de deux gendarmes le mois dernier, lynchés par une population en furie, au nord-est du pays.

«…les citoyens ivoiriens, qu’ils soient civils ou agents de forces de l’ordre se rendent eux-mêmes de plus en plus justice au mépris des lois de la république. Une telle situation consacre le règne de l’Etat de non droit malgré l’existence du cadre légal interdisant de telles pratiques», dénonce le CIDH. Toutes choses qui fragilisent la cohésion sociale et menacent la démocratie, note-t-elle.

Impunité et faiblesse institutionnelle

Pour l’ONG, les deux raisons principales de ces déviances face à la loi sont l’impunité et la faiblesse des institutions qui perdent progressivement leur rôle de recours ultime des citoyens.

Depuis des décennies, souligne-t-elle, «la plupart des crimes politiques et économiques commis en Côte d’Ivoire sont restés sans suite», ce qui a «fragilisé la confiance des citoyens en leurs institutions et… créé un état d’insécurité à combler par les populations». Cela à un point tel que «l’appareil judiciaire et les forces de l’ordre sont aussi cités comme étant un obstacle à la sécurité des populations», toutes choses qui impliquent qu’elles aient tendance à se rendre justice. 

En outre, le pouvoir de la corruption, l’influence du pouvoir politique sur les décisions judiciaires, l’impuissance de la police face à des phénomènes comme celui des «microbes», voilà autant de facteurs qui inspirent un certain rejet des Ivoiriens vis-à-vis des institutions et de l’appareil judiciaire, analyse le CIDH.

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Toutefois, la situation peut évoluer à condition d’un engagement ferme des autorités. L’indépendance et l’intégrité du système judiciaire doivent ainsi être garanties afin de mieux lutter contre l’impunité. Tout comme la sensibilisation des forces de l’ordre aux droits de l’homme et leur dotation en moyens d’intervention et d’investigation pour plus d’efficacité afin de ne pas laisser prospérer les soupçons d’impunité. Des mesures qui seront de natures à redorer l’image de ces institutions et leur redonner leur rôle de régulateurs sociaux.

Dans une Côte d’Ivoire qui est décidément encore convalescente, le rétablissement de l’Etat de droit reste un défi malgré les grandes avancées de ces dernières années. «Une partie de la population a été sous le contrôle de la rébellion durant dix ans pratiquement, donc en dehors de tout contrôle de l’Etat, de sorte qu’il faut réapprendre aux populations à faire confiance et à se référer systématiquement aux autorités policières et judiciaires. C’est surtout là le grand défi», a commenté Jacques Ouattara, enseignant de droit et membre de la société civile ivoirienne.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 09/12/2016 à 16h39