Guerre des grandes puissances pour le contrôle des métaux critiques: une opportunité pour l’Afrique, mais…

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Le 03/07/2023 à 15h06

L’Afrique est au cœur de la bataille que se livrent les grandes puissances pour le contrôle des ressources minières stratégiques. Seulement, certains pays africains souhaitent sortir du cercle d’exportateurs de minerais bruts et optent sur la transformation locale, ce qui est loin d’être acquis du fait de nombreux écueils. Les risques environnementaux ne doivent pas, non plus, être négligés: l’exploitation des terres rares pouvant avoir des conséquences environnementales catastrophiques.

Lithium, tungstène, bauxite, cobalt… figurent parmi les minéraux encore peu connus du grand public mais qui représentent la nouvelle corne d’abondance pour laquelle les grandes puissance sont entrées en course pour en prendre le contrôle. Ces minéraux sont l’alpha et l’oméga de la transition climatique.

La Chine, qui avait pris les devants depuis de nombreuses années, provoquant la dépendance des autres puissances économiques, doit désormais compter avec la concurrence des Etats-Unis et de l’Union européenne qui souhaitent s’en affranchir.

La guerre pour le contrôle des métaux critiques du continent africain entre puissances mondiales est enclenchée. Ces minerais comprennent, entre autres, cuivre, aluminium, manganèse, cobalt, indium, lithium, hélium, graphite, potasse et les terres rares (17 éléments*) qui sont des métaux et des composés métalliques utilisés dans des procédés de fabrication de haute technologie (écrans, téléphones portables, batteries électriques, rotors éoliens, missiles, imagerie médicale, ampoules basse consommation…).

L’Afrique recèle des quantités importantes de ces minerais. Ainsi, à elle seule, la République démocratique du Congo (RDC) détient plus de 50% des réserves mondiale de cobalt prouvées et assure actuellement plus de 73% de la production mondiale de ce minerai stratégique dans la transition énergétique.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) la demande mondiale en cobalt, nickel, manganèse, lithium, platine et des terres rares pourrait quadrupler d’ici 2040 sur fond de course mondiale à la décarbonisation.

Plusieurs facteurs expliquent ce regain d’intérêt. D’abord, il y a l’explosion du nombre d’appareils technologiques qui a entrainé une forte hausse de la demande de ces minerais à partir des années 2010.

Ensuite, il y a cette forte dépendance mondiale vis-à-vis de la Chine qui contrôle aujourd’hui une grande partie de la production de ces minerais. En 2012, la Chine assurait 97% de la production mondiale terres rares et en En 2018 a produit 85% des terres rares consommées dans le monde. Et c’est toujours la Chine qui exploite et commercialise de ce groupe de minerais de la Corée du Nord. C’est dire que la Chine est incontournable dans l’approvisionnement mondiale en terre rares et s’en sert de levier de pression dans le cadre de ses relations avec le Japon et les pays occidentaux.

En plus des terres rares, la Chine a aussi pris une longueur d’avance concernant d’autres minerais dits stratégiques dont le cobalt, le lithium… en contrôlant les mines de nombreux pays africains dont ceux du cobalt de la RDC. Les pays occidentaux subissent une double dépendance de la part de la Chine: extraction et raffinerie des métaux comme le manganèse, le nickel, le lithium et le cobalt utilisés dans la fabrication des batteries électriques.

A titre d’exemple, les voitures électriques utilisent du lithium à raison de 5 à 15 kilogrammes par véhicules. Le lithium est également nécessaire à la fabrication de panneaux solaires et à d’autres sources d’énergie alternative.

Pour se faire une idée sur l’intérêt de ces minerais stratégiques, il faut avoir à l’esprit que la batterie d’un véhicule électrique, constituée de nickel, manganèse, cobalt, lithium et de graphite, représente environ 40% de sa valeur. Pour certain de ces métaux, la demande mondiale va exploser dans les années à venir. Ainsi, à l’horizon 2040, la demande de graphite sera multipliée par 25, celle de lithium par 42…

En outre, la transition énergétique actuelle va encore accroître la demande de ces minerais dont les réserves et la production mondiales sont fortement concentrées entre une poignée de pays (RDC, Afrique du Sud, Australie, Canada...). D’où la ruée vers les pays africains.

Enfin, si la production des terres rares reste encore concentrée en Chine, c’est du fait aussi que l’extraction de ceux-ci à un impact toxique sur l’environnement, plus grave même, selon les experts, que l’exploitation du pétrole de schistes, du fait des rejets de métaux lourds (mercure), de l’acide sulfurique et de l’uranium. Une situation qui a poussé les Etats-Unis à fermer la plupart de leurs mines à cause de la radioactivité. D’où la prudence de son exploitation dans certains pays occidentaux qui disposent des réserves relativement importantes.

Pour atténuer cette dépendance vis-à-vis de la Chine, les pays développés multiplient les projets d’extraction à partir de leurs sous-sols, de recyclage et de retraitement pour récupérer les minéraux rares contenus dans les aimants, accumulateurs, condensateurs, écrans... Seulement, ce recyclage ne représente qu’à peine 1% de la demande mondiale.

La Chine a pris une nette longueur d’avance en investissant dans les minerais critiques des pays africains disposant d’importantes ressources naturelles et ce bien avant que l’Occident ne se réveille. Elle a ainsi démarré l’exploitation du cobalt en RDC en 2007. L’Empire du Milieu est également présent dans de nombreux pays du continent où il produit du lithium (Mali, RDC, Zimbabwe…), du graphite (Mozambique…).

C’est pour contrer cette domination chinoise que les Etats-Unis et l’Union européenne ont mis en place des stratégies offensives visant à sécuriser leurs approvisionnements et à limiter leur dépendance vis-à-vis de la Chine. C’est dans cette optique qu’en septembre 2022 les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne ont organisé une réunion avec les principaux pays miniers africains (RDC, Zambie, Mozambique, Namibie, Tanzanie…) pour explorer les voies et moyens pour pénétrer ces marchés et s’y approvisionner en minerais stratégiques.

«Sur les 30 matières premières critiques aujourd’hui, 10 viennent principalement de Chine. Et la Chine contrôle globalement l’industrie de transformation mondiale. Près de 90% des terres rares et 60% du lithium sont traités en Chine. Nous devons éviter de tomber dans le même piège et la même dépendance qu’avec le pétrole et le gaz», avertit la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen. Et la seule alternative viable demeurent les grandes régions minières du monde, notamment africaines. Des pays comme la RDC figurent parmi les pays les plus ciblés. Certains groupes européens ont renforcé leur positionnement sur ces minerais. C’est le cas du groupe minier français Eramet qui est positionné dans un certain nombre de pays: Gabon (manganèse et nickel), Sénégal (zircon et titane), Cameroun et Burkina Faso (nickel, cobalt et sables minéralisés).

Reste que la ruée vers les métaux critiques africains pose de nombreuses questions. D’abord, les pays africains doivent-ils continuer à être cantonnés dans leur rôle historique de pourvoyeur de matières premières aux pays développés sans valeur ajoutée? La réponse est évidement non, l’Afrique souhaitant sortir de sa place dans la «division internationale du travail» qui l’assigne à la fourniture des produits primaires en général (produits agricoles, matières premières). L’ambition est désormais de transformer ses matières premières stratégiques.

Ainsi, la RDC qui dispose de presque la moitié des réserves mondiales en cobalt et qui assure plus de 73% de la production mondial du minerai? a décidé de miser sur la transformation locale et souhaite, avec la Zambie, bénéficier de la transition énergétique pour intégrer le cercle des constructeurs de batteries électriques.

Actuellement, seulement 1% de la production de cobalt est transformée localement. Le pays disposant de presque tous les minerais dits stratégiques pour cela. Les deux pays miniers disposant d’importantes réserves de cuivre, cobalt et lithium, ont décidé de créer une co-entreprise en vue de la fabrication de batterie pour véhicules électriques dans la province congolaise du Katanga, riche en minéraux. «Nous voulons qu’il ait la création d’industries dans la république démocratique du Congo, parce que nous sommes de moins en moins axés sur l’exportation de nos produits bruts. Nous voulons qu’il y ait la valeur ajoutée», a expliqué Godar Motemona Gibolum, vice-ministre des Mines de la RDC, lors d’une réunion avec des opérateurs chinois.

D’autres pays africains sont sur la même longueur d’onde. C’est le cas de la Namibie qui possède d’importants gisements de lithium, un métal de batterie essentiel aux véhicules électriques, ainsi que des minéraux de terres rares tels que le dysprosium et le terbium utilisés dans les aimants et les éoliennes. Le pays ambitionne de valoriser ses ressources minières nationales en favorisant leur transformation au niveau local. C’est dans cette optique que le gouvernement a interdit récemment les exportations de lithium non transformé et d’autres minéraux critiques utilisés dans les technologies de stockage et de production des énergies renouvelables.

Dans le même sillage, le Zimbabwe a décidé d’interdire l’exportation du lithium et de n’autoriser que les expéditions de concentrés. L’objectif est de promouvoir la transformation locale de lithium de qualité pour la fabrication de batteries automobiles.

L’objectif est d’ajouter de la valeur au niveau local afin de mettre en place une base industrielle solide à même de renforcer l’attrait du pays pour les investisseurs, de créer de la valeur ajoutée et de générer des emplois. En clair, la forte demande mondiale en minerais critiques devrait offrir à l’Afrique des opportunités économiques et stratégiques uniques qu’elle devrait saisir.

Toutefois, ne disposant pas les technologies nécessaires, ces pays doivent collaborer avec les géants mondiaux du secteur. Un marché dominé actuellement très largement par la Chine qui contrôle également une grande partie des mines de cobalt de la RDC.

Reste que si la demande mondiale des minerais critiques répond aux exigences de la transition énergétique, il n’en demeure pas moins que le chemin de la mine à la batterie lithium-ion n’est pas forcément plus vert que celui qui mène du puits de pétrole au réservoir des voitures. En effet, les processus d’extraction de ces minéraux sont particulièrement polluants. Il faut souligner que les métaux rares sont présents partout sur terre. Toutefois, ils sont qualifiés de rares du fait qu’ils sont dilués dans l’écorce terrestre, rendant leur extraction et le raffinage complexed et extrêmement lourds.

A titre d’illustration, pour extraire 20 kilogrammes de fer, on extrait en moyenne 20 fois plus de roche. Toutefois, pour les métaux rares, il faut des centaines voire des milliers de tonnes pour en extraire un kilogramme. Par exemple, présent dans la croûte terrestre à hauteur de 0,5 partie par million, pour obtenir 1 kilogramme de lutécium, il faut extraire jusqu’ à 1.250 tonnes de roche. Et n’étant jamais à l’état pur, il est difficile de le séparer des autres éléments. Vu cette complexité d’extraction, ce minerai partie des terres rares les plus chères.

Une situation qui explique, en partie, le fait que les Etats-Unis et dans une moindre mesure les pays européens, n’ont pas jusqu’à présent massivement investi sur leur territoire pour y extraire ces minéraux rares. Ainsi, la Suède qui possède le plus grand gisement de terres rares d’Europe n’arrive pas, depuis depuis plus de 10 ans, à l’exploiter. Les investisseurs font face aux préoccupations environnementales et l’opposition locale. Cela est aussi valable en France et dans d’autres pays occidentaux.

Dans ces conditions, on comprend aussi, en partie, la volonté de certains pays développés à ne pas investir localement à cause de la puissance des mouvements écologiques locaux.

Dans cette course aux minerais, l’Afrique se retrouve coincée entre deux antagonismes: se contenter du rôle de pourvoyeur de matières premières et laisser les autres en profiter ou alors extraire et transformer localement leurs richesses souterraines. Une chose est sure, l’extraction de ces minerais n’est pas sans conséquence sur l’environnement. L’Afrique, pourtant faible émetteur de gaz à effet de serre, est le continent le plus impacté par les changements climatiques.

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(*) Terres rares ou métaux stratégiques sont composés de 17 éléments: lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium, yttrium et scandium

Par Moussa Diop
Le 03/07/2023 à 15h06