Alors que la vague mondiale d’insolvabilités continue de grimper (+6% prévu en 2025 après +10% en 2024), le dernier rapport d’Allianz Research sur le sujet révèle une divergence frappante entre le Maroc et l’Afrique du Sud, les seules pays africains cités. Si le premier subit une hausse structurelle, le second enregistre un recul historique. Analysons les dynamiques à l’œuvre.
Des trajectoires opposées
Selon Allianz Research, le Maroc affiche une tendance alarmante des insolvabilités en 2024, avec une hausse de 10% (soit 15.658 cas), plaçant son niveau à +95% au-dessus de la moyenne pré-pandémique (2016-2019). Les prévisions 2025 confirment cette dégradation: +7% supplémentaires porteraient le total à 16.800 cas, dépassant de 109% la référence historique.
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Les secteurs critiques– construction, transport et services B2B– reflètent une vulnérabilité mondiale, identifiée par Allianz Research comme moteur de la crise. En 2026, une stagnation est attendue (0% de croissance), mais le nombre de faillites resterait à un niveau record, signe d’une fragilité durable.
À l’inverse, l’Afrique du Sud enregistre une amélioration continue: -6% d’insolvabilités en 2024 (1.551 cas), atteignant un plus bas historique (-19% comparé à la période 2016-2019). En 2025, le recul devrait se poursuivre (-3%, soit 1.500 cas), situant le pays à -22% sous la moyenne pré-Covid. Une résilience qui s’explique par les effets différés du resserrement monétaire engagé depuis 2022 et une dynamique économique atone, mais contrôlée.
Facteurs structurels et conjoncturels
Au Maroc, la persistance des retards de paiement constitue le nœud du problème, bloquant toute amélioration avant 2026. Comme le souligne Allianz, «les entreprises locales font face à des défis persistants, notamment des problèmes de délais de paiement». L’absence de relance fiscale significative– contrairement à l’Allemagne ou à la France– aggrave ce contexte. Les secteurs construction et transport, déjà épicentres de la hausse européenne (+26% d’insolvabilités dans le transport en 2024), amplifient les risques locaux.
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Du côté de l’Afrique du Sud, le pays démontre une résilience monétaire inattendue. Le durcissement des taux depuis 2022 n’a pas déclenché l’effet domino redouté. Le rapport souligne que les insolvabilités y ont atteint «un plus bas depuis 35 ans en 2024». Une performance qui repose sur un ajustement anticipé aux chocs financiers et une faible exposition aux secteurs globaux les plus vulnérables (B2B, logistique), permettant d’absorber les contrecoups de la modération économique.
Risques systémiques et emploi
L’impact des insolvabilités dépasse les bilans comptables pour menacer l’emploi et la stabilité économique. Globalement, 2,3 millions d’emplois sont directement exposés en 2025 (+120.000 comparé à 2024), selon le modèle d’Allianz Research combinant la taille moyenne des entreprises, le taux de liquidation immédiate (72%) et les licenciements en restructuration (32%).
Au Maroc, ce risque se concentre dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre: construction et services, amplifiant les tensions sociales dans un contexte de chômage structurel. En Afrique du Sud, le recul des faillites limite l’hémorragie d’emplois, mais la vigilance reste de mise dans le retail et les services, où les marges de résilience s’amoindrissent.
L’effet domino constitue une menace systémique majeure pour le Maroc : la concentration des faillites dans les secteurs B2B expose les sous-traitants à des faillites en cascade, phénomène observé en Europe où « les grandes insolvabilités ont bondi de 30% en 2024″, générant des pertes de 187 milliards d’euros et fragilisant les chaînes d’approvisionnement.
Influences externes: taux d’intérêt et géopolitique
La vulnérabilité des deux économies aux chocs externes révèle leur degré d’intégration mondiale. L’accès au crédit joue un rôle décisif. Selon Allianz, «une baisse de 1% du crédit accroît les insolvabilités de +2% en France en trois mois», une sensibilité transposable au Maroc où le financement des PME reste tendu. Le maintien prolongé de taux directeurs élevés aggrave ce risque, privant les entreprises de liquidités vitales pour refinancer leurs dettes ou combler les déficits de trésorerie.
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La géopolitique pèse également. Un scénario de guerre commerciale totale (tarifs douaniers dépassant 25% aux États-Unis) pourrait alourdir la tendance mondiale de +8% en 2025, affectant particulièrement les économies ouvertes comme le Maroc. Le rapport quantifie ce risque: un tel conflit ajouterait +2,1 points de pourcentage aux prévisions 2025, portant la hausse globale à +7,8%, soit 6.800 faillites supplémentaires aux États-Unis et 9.100 en Europe occidentale. L’Afrique du Sud, moins exposée aux chaînes de valeur mondiales, resterait relativement épargnée.
Perspectives 2026 : inertie marocaine vs stabilisation sud-africaine
Pour le Maroc, la stagnation anticipée en 2026 (maintenant 16.800 cas d’insolvabilité, soit 0% de croissance) cristallise une inertie alarmante à un niveau critique, loin d’un retour à la normale. Un plafonnement à 109% au-dessus de la moyenne pré-pandémique qui signale l’épuisement d’un modèle économique vulnérable, exigeant des réformes structurelles urgentes: fluidification des paiements interentreprises, élargissement de l’accès au crédit pour les PME, et modernisation des procédures de restructuration. Sans ces mesures, le pays restera prisonnier d’un cycle de fragilité, où les secteurs clés (B2B, construction) continueront d’alimenter la machine des faillites.
En Afrique du Sud, la stabilisation prévue (0% de variation en 2026, maintien à 1.500 cas les insolvabilités) consolide un avantage comparatif remarquable, avec des insolvabilités durablement inférieures de 22% à la période de référence 2016-2019. Toutefois, cette résilience repose sur un pari fragile : une croissance économique soutenue (+1,1% prévu en 2025 pour les économies émergentes) et l’absence de nouveaux chocs monétaires. Si le pays a su absorber le resserrement des taux depuis 2022, toute dégradation de la conjoncture mondiale ou contraction de la demande interne pourrait rompre cet équilibre, particulièrement dans les secteurs exposés comme les services.
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Cette divergence prévue en 2026 illustre un fossé de résilience. Le Maroc, miné par des blocages structurels, peine à infléchir sa courbe malgré l’absence de nouveaux chocs ; l’Afrique du Sud capitalise sur son ajustement anticipé mais voit sa stabilisation conditionnée à des facteurs externes. Le rapport d’Allianz Research souligne ainsi que la correction post-Covid reste incomplète pour de nombreuses économies, dont le Maroc, tandis que l’Afrique du Sud rejoint le cercle des pays ayant plus que compensé les insolvabilités manquantes durant la pandémie.
En définitive, le «match» Maroc-Afrique du Sud illustre la fracture des réalités économiques africaines. Pour le Maroc, les défis de paiement empêchent une baisse des insolvabilités avant 2026, selon Allianz, exigeant des politiques publiques ciblées. L’Afrique du Sud, malgré des taux élevés, tire son épingle du jeu grâce à une correction anticipée de son marché. Dans un monde où l’indice mondial d’insolvabilités culminera à +6% en 2025, cette divergence rappelle que les réformes structurelles et la discipline financière restent les meilleurs pares-feux contre la contagion des faillites.
Maroc vs Afrique du Sud : deux réalités en matière d’insolvabilité
Aspects | Maroc | Afrique du Sud |
---|---|---|
Tendance 2024 | +10% (15 658 cas) - Niveau record (+95% vs pré-pandémie 2016-2019) | -6% (1 551 cas) - Plus bas historique (-19% vs pré-pandémie) |
Prévision 2025 | +7% (16 800 cas - +109% vs pré-pandémie) | -3% (1 500 cas - -22% vs pré-pandémie) |
Prévision 2026 | Stagnation (0% - maintien à 16 800 cas, +109%) | Stagnation (0% - maintien à 1 500 cas, -22%) |
Facteurs Clés | • Retards de paiement persistants (blocage majeur); • Absence de relance fiscale; • Vulnérabilité des secteurs B2B, Construction, Transport (aligné sur la crise européenne); • Accès au crédit tendu pour les PME; | • Effets différés du resserrement monétaire (depuis 2022); • Ajustement anticipé aux chocs; • Faible exposition aux secteurs globaux vulnérables (B2B, logistique); • Dynamique économique « atone mais contrôlée »; |
Secteurs à Risque | Construction, Transport, Services B2B (forte intensité de main-d’œuvre, risque de cascade); | Retail et Services (marges de résilience réduites); |
Risques majeurs | • Effet domino (faillites en cascade dans la chaîne B2B); • Perte d’emplois massifs (secteurs intensifs); • Fragilité systémique durable; | • Dépendance à une croissance soutenue (+1.1% prévu pour les émergents); • Vulnérabilité en cas de nouveau choc monétaire ou de contraction de la demande; |
Exposition aux chocs externes | Élevée : • Sensibilité aux taux d’intérêt élevés (accès au crédit); • Vulnérabilité aux guerres commerciales (économie ouverte); | Modérée : • Moins intégrée aux chaînes de valeur mondiales; • A déjà absorbé le choc monétaire; |
Diagnostic Global | « Inertie alarmante » : Modèle économique vulnérable, épuisé, nécessitant des réformes structurelles urgentes (paiements, crédit PME, restructuration). Prisonnier d’un cycle de fragilité. | « Résilience remarquable » : Avantage comparatif consolidé grâce à un ajustement anticipé. Stabilisation fragile, conditionnée à l’environnement externe et à la croissance. |
Statut Post-Covid | Correction incomplète - Niveaux d’insolvabilité supérieurs à la période de référence. | A plus que compensé les insolvabilités « manquantes » durant la pandémie. |
Source : Allianz Research.