Les approches utilisées par les agences de notation pour évaluer la solvabilité des pays africains sont souvent décriées par les spécialistes du domaine. Un récent rapport du Bureau régional du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour l’Afrique intitulé «Réduire le coût des emprunts en Afrique : le rôle des notations souveraines» remet au goût du jour cette polémique et évalue l’impact économique de cette démarche.
D’après ce document de 16 pages, les méthodes actuelles d’évaluation des géants du secteur, en l’occurrence S&P Global Ratings, Moody’s et Fitch, pour noter la qualité des émetteurs africains ont coûté à l’Afrique des opportunités supplémentaires de financement d’une valeur de 74 milliards de dollars.
Un montant énorme qui représente, selon le PNUD, six fois le coût de la vaccination de 70% des Africains (soit 12,5 milliards de dollars) pour obtenir une immunité collective contre le Covid-19, et 80% des besoins annuels d’investissement en infrastructures de l’Afrique (estimés à 93 milliards de dollars). C’est également plus de deux fois le coût de la réduction de 90% du paludisme sur le continent estimé à 34 milliards de dollars.
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Il faut savoir que beaucoup d’investisseurs se basent sur leurs notes pour évaluer les risques d’investissement sur le continent. Selon l’organisme onusien, ces Big Three se basent sur des algorithmes conçues pour évaluer des fondamentaux de la macroéconomie mais qui ne prennent pas en compte les réalités concrètes et spécifiques des pays africains. «Bien que les trois grandes agences de notation s’efforcent de fournir des informations générales sur leurs méthodes de notation, les hypothèses sous-jacentes restent en grande partie ambiguës», explique le rapport.
Pour étayer ses assertions, le PNUD révèle que sur les 32 pays africains évalués en 2023 par les agences de notation, 30 ont été considérés comme spéculatifs, notamment le Sénégal et la Côte d’Ivoire, deux pays pourtant considérés comme des moteurs de la croissance en Afrique cette année.
Outre les méthodes de calcul biaisées, l’indisponibilité des données et le retard dans leur transmission à ces agences, particulièrement en Afrique francophone, peuvent également fausser les estimations. «En Afrique, il reste difficile pour les évaluations des risques et les notations de crédit de refléter fidèlement la réalité. Cela est dû en grande partie à la pénurie de données actualisées, en partie à la nature pionnière des marchés africains. En outre, les agences de notation ont du mal à trouver des experts ayant une connaissance suffisamment approfondie et régionale», souligne le rapport.
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Concrètement, la notation financière est un processus mis en place par une agence pour évaluer le risque de non-remboursement de la dette d’un Etat, d’une entreprise, ou d’une collectivité locale dans le court, moyen ou long terme. A l’issue de cette procédure, elle octroie une note exprimée en symbole composé d’un et de plusieurs lettres. Une note qui n’est pas souvent définitive, puisque l’agence pourrait la placer sous surveillance avant la changer.
Ce système a un double avantage. Il permet aux emprunteurs, notamment les Etats, de se financer directement sur le marché des capitaux, auprès d’investisseurs, plutôt que de souscrire à des prêts bancaires. Mieux, ces émetteurs pourraient bénéficier d’une réduction du coût de l’emprunt s’ils obtiennent une note positive. Les investisseurs pourront aussi déterminer, à travers les notes délivrées, le coût et le suivi du risque avant de s’engager dans un projet.
L’autre impact négatif de ces notations des crédits des Etats africains, c’est la réduction des flux d’investissements directs étrangers (IDE) vers ces pays qui en ont grandement besoin. D’où la nécessité de revoir la méthodologie d’évaluation pour rassurer leurs partenaires financiers. «En effet, les notations de crédit influencent souvent directement les IDE en affectant la perception du climat d’investissement d’un pays et sa capacité à rembourser ses dettes. En améliorant leur notation, les pays africains pourraient attirer davantage d’IDE, ce qui est essentiel pour la croissance économique et le développement à long terme», explique le PNUD.
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Pur permettre aux pays africains de combler ce gap de financement, l’institution internationale suggère le renforcement des capacités techniques et institutionnelles des agences de notation africaines comme GCR Ratings au Sénégal ou Bloomfield basée en Côte d’Ivoire. «Les agences de notation basées en Afrique ont un avantage concurrentiel en raison de leur compréhension plus nuancée des structures macroéconomiques régionales et de la couverture de secteurs qui ne sont pas inclus dans les évaluations des trois grandes agences mondiales, précise-t-elle.
Toujours selon le PNUD, ces entités disposent également «de capacités d’analyse uniques, spécifiques aux pays et aux marchés sur lesquels elles opèrent, et possèdent des connaissances et une expertise inestimables sur le continent africain ». Elle suggère aussi la création d’une agence panafricaine de notation, pour changer la perception des investisseurs sur l’Afrique.