Gabon: la Françafrique fait l’objet de vives critiques

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Le 04/09/2016 à 19h59, mis à jour le 05/09/2016 à 09h59

Depuis le début de la crise gabonaise, les autorités françaises se sont rangées du côté de Jean Ping, entraînant avec elles toute la presse de l’Hexagone. Intellectuels africains, mais également députés européens contactés par Le360 Afrique, dénoncent la persistance de la Françafrique.

On pensait que l’Afrique s’était un peu plus affranchie de la France, mais les vieilles pratiques des politiques français et africains ont la vie dure. Depuis le début de la crise gabonaise, la France a clairement choisi son camp. François Hollande et son ministre des Affaires étrangères se sont rangés du côté de Jean Ping, entraînant les médias qui ne se soucient plus de l’impartialité que leur impose la déontologie. Il y a un traitement à sens unique manifeste.

Après que les partisans de Jean Ping aient été auteurs de flagrants actes de vandalisme, "l’ensemble des médias de l’Hexagone a insisté sur les arrestations qui ont suivi", dénonce Jean-Paul Bilie Bye Nze, ministre de la Communication gabonais. Ce comportement des médias est calqué sur celui des hommes politiques. "Ali Bongo est déjà jugé coupable par la classe politique française, pour s’être détourné de la France depuis un certain temps", explique un analyste politique sénégalais. Ce dernier affirme qu'il ne sera pas surpris que ce qui "s'est passé en Libye qui a mené à la mort de Khaddafi et en Côte d'Ivoire, dont l'issue est le bombardement du palais présidentiel de Laurent Gbagbo, ne se répète". 

Compromission

En France, si le Parti Socialiste (PS) et Les Républicains (LR) ont tous goûté aux valises africaines, le Front national, qui n'a jamais dirigé l'exécutif dénonce "ce comportement tendancieux inspiré des pratiques de la Françafrique". Derrière, ce terme, il faut surtout comprendre la compromission des politiques des deux bords, français et africains, mais aussi les réseaux occultes qui font l'affaire des dirigeants "françafricains". Chaque foi, qu’un président africain déclare officiellement ou réclame officieusement son indépendance vis-à-vis de la France, il est clairement classé parmi les ennemis de l’ancienne métropole.

Le Gabon est justement le symbole par excellence de tout ce qu'il y a de péjoratif dans la Françafrique. Le président Omar Bongo ne disait-il pas que "l'Afrique sans la France, c'est une voiture sans chauffeur, mais la France sans l'Afrique, c'est une voiture sans carburant". 

On a cité ce pays pétrolier de 1,8 million d'habitants dans les affaires Elf; vaste opérations de corruption montée notamment par des politiques, un PDG d'Elf et impliquant des chefs d'Etat Africains. On se rappelle également qu'en mars 2008, le ministre français de la Coopération, Jean-Marie Bockel a été démis de ses fonctions sur la demande d'Omar Bongo, le père de l'actuel président. D'ailleurs, en pleine crise électorale, Bockel, aujourd'hui sénateur revanchard affiche clairement son choix. "Jean Ping a gagné l'élection présidentielle au Gabon", a-t-il dit, avant d'ajouter que "dans ces heures décisives pour l'avenir du Gabon, je veux assurer mon ami Jean Ping de ma solidarité active". 

Sassou et Idriss Deby ont les faveurs de la France

Interrogé par Le360 Afrique sur les raisons du parti pris des médias français, Louis Aliot affirme également se poser la question. "Je m’interroge moi-même. S’agit-il d’une guerre PS-LR, Hollande-Sarkozy sur le terrain Gabonais? Ou bien y a-t-il un changement d’alliances pour l’avenir ou une affaire de gros sous? ", se demande le député européen. Avant d’ajouter qu’il "reste que les médias français lâchent Bongo, mais il y a quelques semaines et dans des circonstances de troubles comparables, ils n’ont pas lâché Sassou".

Il fait ici référence au bombardement de la région du Pool, traditionnellement opposée au président Congolais Denis Sassou Ngesso. Plusieurs personnes ont trouvé la mort, sans que cela n’émeuve outre mesure ni les médias, ni les politiques français.

Au Tchad, après les élections du mois d’avril, plusieurs militaires, gendarmes et policiers qui avaient voté pour l’opposition avaient mystérieusement disparu, avant de réapparaitre progressivement en mai. Mais, des associations tchadiennes affirment que certains n’ont toujours pas réapparu. Pourtant, les autorités françaises n’ont évoqué ces évènements que du bout des lèvres.

Ingérence de longue date

Quoi qu’il en soit, L’ingérence de la France a toujours été sélective, mais il ne s’agit pas d’une chose nouvelle, selon plusieurs observateurs. Le cas ivoirien est très ressemblant à ce qui se passe actuellement au Gabon.

En effet, lors des élections contestées de 2010, Alassane Ouattara avait été donné pour vainqueur, mais Laurent Gbabgbo avait demandé le recomptage des voix. La France s’y est catégoriquement opposée demandant que tout recours ne puisse se faire que devant la Cour suprême. Jean Ping aussi, en sa qualité de président de la Commission de l’Union africaine, s’était rangé du côté de la France. C’est dire que les accointances entre Jean Ping et les politiciens français ne datent pas d’aujourd’hui.

L’histoire se répète, le traitement partisan demeure

Six ans plus tard, le même scénario se présente, sauf que cette fois c’est Jean Ping qui est dans le rôle du contestataire. Mais, il refuse qu’on lui tienne les mêmes arguments que ceux qu’il opposait en 2010 à Laurent Gbagbo. Car, les pays africains qui se sont rangés derrière l’Union africaine, demandent que les recours se fassent, dans les conditions prévues par la loi gabonaise, c’est-à-dire devant la Cour constitutionnelle. Mais, pour la France, devenue soutien inconditionnel de Ping, il en est hors de question. Comme Ping veut un recomptage des voix, la France tient le même discours.

La fin de la Françafrique passe par de nouvelles relations

Louis Aliot, quant à lui, affirme que cette attitude est bien française. Si Bongo s’était montré aussi conciliant avec les hommes politiques français que l’ont été d’autres présidents africains, la France l’aurait laissé en paix. "Tous les gouvernements français se sont ingérés dans les affaires africaines et ce depuis la décolonisation. De réseaux en réseaux, de coups d’Etat en coups d’Etat, de valises en valises, nos anciennes colonies sont devenues le terrain de jeu des grands groupes industriels, commerciaux et pétroliers, avec la corruption qui va avec", affirme-t-il sans détour. Et d’ajouter : "je ne pense pas que l’intérêt supérieur de la France a été privilégié dans toutes ces affaire." Néanmoins, pour le député européen, "nous sommes à un tournant de l’histoire des relations entre la France et l’Afrique". Il faut donc que les choses changent.

Malheureusement, pour ce faire, il est important que des relations de confiance s’installent entre Français et Africains, notamment au sommet des Etats respectifs. Il y a un sérieux handicap : "le néocolonialisme économique, industriel et marchand des grands groupes internationaux qui, avec l’appui des pouvoirs, défendent des intérêts de clans et de castes, au détriment des intérêts des pays et des peuples", conclut Louis Aliot.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 04/09/2016 à 19h59, mis à jour le 05/09/2016 à 09h59