"Il faut les buter jusque dans les chiottes". Le G5 Sahel veut faire sienne la célèbre phrase de Poutine, alors premier ministre, contre les terroristes qui, il y a 19 ans avaient fait un carnage à Moscou. La nouvelle force sous-régionale, épaulée par Barkhane et la mission des Nations-Unies, veut tout faire pour que la peur change de camp.
C'est dans cette zone "des trois frontières" que se jouera la bataille entre les jihadistes et la force conjointe du G5 Sahel, organisation régionale regroupant cinq pays, la Mauritanie et le Tchad. Malgré l'accord de paix au Mali de 2015, les violences ont non seulement persisté, mais se sont propagées du nord vers le centre et le sud, puis au Burkina Faso et au Niger.
Le G5 Sahel a donc réactivé en 2017 son projet de force conjointe, pour laquelle il a recueilli plus de 250 millions d'euros et espère d'autres engagements lors d'une conférence prévue à Bruxelles le 23 février. A la veille d'un sommet du G5 Sahel le 6 février, le directeur du renseignement militaire français, le général Jean-François Ferlet, a relevé une recrudescence des attentats jihadistes dans le centre du Mali, avec "des attaques un peu plus meurtrières, parce que (leurs auteurs) améliorent leur mode d'action".
Selon un expert européen interrogé par l'AFP à Bamako, les jihadistes ont progressé dans le maniement des explosifs: "Lorsqu'une mine coupe en deux, comme du pain, un véhicule, ce n'est plus une mine artisanale". Mais, pour le général Ferlet, "Barkhane est assez fort au Mali et maintient le niveau de violence à un niveau qui serait à la portée de nos partenaires s'ils arrivaient à progresser sur la mise en oeuvre des accords de paix".
Fin janvier, le Conseil de sécurité de l'ONU a exprimé son "impatience", exigeant des signataires de l'accord "des progrès sur le fond" avant les élections prévues en 2018, dont une présidentielle en juillet. Peu auparavant, le Premier ministre malien Soumeylou Boubeye Maïga avait souligné l'impact sécuritaire du retard pris par le DDR (démobilisation, désarmement, réinsertion) des combattants des groupes armés, qui devrait notamment permettre de "soustraire aux groupes terroristes la base de recrutement qui leur est offerte".
Remuer ciel et terre
Le 11 février, dans le centre du Mali, M. Maïga a promis de sécuriser cette région, avec des renforts en effectifs et en matériel. Le regain d'activité des jihadistes prouve qu'ils prennent au sérieux la menace des armées de la région, affirment plusieurs responsables, dont le président malien Ibrahim Boubacar Keïta. "La montée en puissance réelle du G5 Sahel", ajoutée à la "détermination farouche" des troupes maliennes, "les a rendus fous", a déclaré M. Keïta à Boni (centre), théâtre d'une des attaques qui ont fait une soixantaine de morts fin janvier.
Selon le consultant malien Ousmane Diallo, ces groupes s'opposeront par tous les moyens à la force du G5 Sahel, "en terrorisant les populations, en posant des mines, en remuant ciel et terre". Une organisation se réclamant du groupe Etat islamique (EI) a indiqué en janvier à l'AFP faire front commun contre la force du G5 avec la principale alliance jihadiste du Sahel, liée à Al-Qaïda.
La présence de cette force ne se fait pourtant encore guère sentir sur le terrain. Lors de sa deuxième opération, du 15 au 28 janvier, mobilisant deux bataillons, malien et burkinabè, de part et d'autre de la frontière, avec l'appui de Barkhane, le bilan officiel s'est résumé à la saisie de munitions, de matériel explosif et de motos.
En outre, les forces nationales manquent souvent d'équipement et de motivation. Cette semaine, une vingtaine de policiers de Déou, dans le nord du Burkina Faso, ont abandonné leur commissariat pendant 24 heures pour dénoncer des moyens insuffisants.
Lors de sa visite dans le centre du Mali, le Premier ministre a promis aux troupes de les mettre "dans les meilleures conditions".
Le malaise de l'armée dans cette région s'est manifesté en janvier par la désertion de 36 gendarmes et l'arrestation d'un sergent pour avoir publié une vidéo dans laquelle il dénonçait l'absence de stratégie et l'impéritie de la hiérarchie militaire et civile.
Le gouvernement a également nommé cette semaine une série de sous-préfets dans le centre du Mali.
Mais ce renforcement de la présence de l'Etat ne répond pas toujours aux attentes des populations.
Selon le rapport de la division des droits de l'Homme de la Minusma publié en février, parmi les "incidents mettant en danger la vie des civils" en 2016 et au premier semestre 2017, "au moins 20%" impliquaient les autorités, essentiellement les forces militaires et de sécurité.