Portant des masques et respectant les gestes barrières, les présidents de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara, et du Sénégal, Macky Sall, ont été les premiers à atterrir à l'aéroport de Bamako en milieu de matinée, sous un ciel voilé de nuages blancs, où ils ont été accueillis par leur homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Mandatés par la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), médiatrice du plus important mouvement de contestation du pouvoir en place au Mali depuis le coup d'Etat de 2012, ils ont été suivis par les présidents Muhammadu Buhari du Nigeria et Mahamadou Issoufou du Niger. Celui du Ghana, Nana Akufo-Addo, doit également participer à la réunion.
Les cinq chefs d'Etat doivent s'entretenir avec le président Keïta, dit "IBK", dans un hôtel de la capitale placé sous haute sécurité, puis conjointement avec l'influent imam Mahmoud Dicko - figure emblématique de la contestation - et avec les dirigeants du Mouvement du 5-Juin (M5-RFP), la coalition hétéroclite de politiques, religieux et membres de la société civile qui réclame le départ du chef de l'Etat.
Leur visite doit s'achever en fin d'après-midi.
- Troubles meurtriers -
Une centaine de partisans du M5-RFP ont manifesté près de l'aéroport. "Nous sommes venus mettre la pression, il ne faut pas que les leaders du M5 nous trahissent aujourd'hui", a déclaré à l'AFP une étudiante de 23 ans, Maïmouna Diallo. "Nous sommes venus pour exiger la démission d'IBK. Et qu'on n'oublie pas nos camarades tués", abondait une autre manifestante, Yaya Sylla.
Au pouvoir depuis 2013, le président Keïta est massivement contesté dans la rue depuis juin.
Au climat d'exaspération nourri depuis des années par l'instabilité sécuritaire dans le centre et le nord du pays, le marasme économique ou une corruption jugée endémique, est venue s'ajouter l'invalidation par la Cour constitutionnelle d'une trentaine de résultats des élections législatives de mars-avril.
Le 10 juillet, la troisième grande manifestation contre le pouvoir à l'appel du M5-RFP a dégénéré en trois jours de troubles meurtriers à Bamako, les pires dans la capitale depuis 2012.
La crise politique actuelle au Mali, dont une large partie du territoire, en proie à des violences jihadistes et/ou communautaires quasi-quotidiennes, échappe à l'autorité de l'Etat, inquiète ses alliés et voisins, qui craignent que le pays sombre dans le chaos.
Par la voix de son négociateur, l'ex-président nigérian Goodluck Jonathan, la Cédéao a mis sur la table dimanche dernier des "recommandations" pour une sortie de crise, qui ont reçu le soutien de l'Union africaine, des Etats-Unis et de l'UE.
Les cinq présidents vont peser de tout leur poids pour "renforcer" les efforts diplomatiques déjà entrepris et "entériner" un accord, selon une source proche des négociations.
"Les cinq présidents doivent être conscients du préjugé défavorable qui entoure leur venue au Mali et prouver que la Cédéao n'est pas un +syndicat de chefs d'Etat+ qui se soutiennent et se protègent mutuellement", estime toutefois le centre d'études ISS, basé à Bamako, dans une note publiée jeudi.
"Une répartition de postes sur la base de pourcentages par catégorie d'acteurs ne suffira pas pour répondre aux aspirations profondes des populations. La recherche de solutions devra prendre en compte le besoin d’amélioration du quotidien des Maliennes et des Maliens", selon l'ISS.
Le plan de la Cédéao prévoit la nomination rapide d'une nouvelle Cour constitutionnelle pour régler le litige autour des législatives, ainsi que la mise sur pied d'un gouvernement d'union nationale.
La feuille de route a été bien accueillie par le camp présidentiel, mais a jusqu'ici été rejetée par le Mouvement du 5-Juin, où des tensions sont apparues entre "faucons" qui continuent à exiger le départ du président et "colombes", plus conciliantes, selon des sources proches du mouvement.
- L'enjeu du Premier ministre -
A défaut d'obtenir la tête du chef de l'Etat, "ligne rouge" pour la communauté internationale, les opposants pourraient finalement accepter d'entrer au gouvernement, selon une source proche des négociations.
Qu'est-ce qui est en train de se négocier? "La démission du Premier ministre Boubou Cissé", juge lui aussi Brema Ely Dicko, sociologue à l'Université de Bamako.
"Le M5-RFP est obligé de maintenir la pression pour au moins obtenir quelque chose", ajoute-t-il.
L'opposition traditionnelle est quant à elle "atone", selon un diplomate, depuis l'enlèvement fin mars de son chef, Soumaïla Cissé, toujours aux mains de présumés jihadistes. Ses partisans ont déployé des banderoles pour exiger sa libération le long du parcours que doivent emprunter les chefs d'Etat.