Mali: ce portable qui appauvrit si bien les ménages

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Le 18/08/2016 à 10h22, mis à jour le 18/08/2016 à 12h32

Certains ménages dépensent jusqu'à 75.000 francs par mois pour cinq utilisateurs, soit près de 30% du revenu du malien moyen. Le téléphone est devenu l'un des postes de dépenses les plus importants, devant l'alimentation. Mais personne ne peut s'en passer ou plutôt n'ose s'en séparer. Reportage.

Pour le côté esthétique du petit appareil et son côté indispensable comme outil de communication, le téléphone mobile est désormais dans tous les ménages maliens. "J’ai un téléphone portable double SIM qui fait pratiquement partie de moi-même". 

Kadidia Kéïta, étudiante à la faculté des sciences juridiques et politiques de Bamako résume bien la relation qu'entretient le Malien moyen avec cet objet. "Je ne m’en sépare que lorsque je dors", explique-t-elle. Elle se connecte régulièrement sur internet pour "checker" ses mails, comme elle le dit si bien, dans son accent de bamakoise branchée. "Je m’arrange toujours à avoir du crédit ou du forfait dans l’un ou l’autre SIM". Sauf que le service n'est pas donné, se plaint-elle. "Je dépense entre 5000 à 6000 FCFA par semaine, soit un budget mensuel de près de 25.000 francs CFA". Dans un pays, où la bourse entière allouée mensuellement par l'Etat aux étudiants n'est que de 26.250 francs, elle compte surtout sur ses parents pour s'offrir ce luxe. 

Au Mali, deux opérateurs (Malitel et Orange Mali) se partagent le marché des 15 millions d’habitants, donc de consommateurs potentiels. Au moment où Malitel revendique le chiffre de 8 millions de clients, un taux de couverture de la population de l’ordre de 80%, son rival Orange Mali réclame plus de 10 millions de clients avec un taux de couverture allant jusqu’à 89% de la population.

Le budget familial soumis à rude épreuve…

Le budget familial en prend un séreux coup. Avec une publicité agressive (promotion d’achat de crédit et de forfait allant de 100% jusqu’à 300%), les opérateurs de téléphonie mobile incitent les populations à utiliser leurs maigres ressources dans la communication et l’internet.

Société orale par excellence où les liens familiaux et parentaux sont encore très forts, Le Mali a vite adopté le portable. On s’appelle, on se dit tout et rien à la fois. L'effet de mode se le dispute avec le côté utile voire indispensable. Alors, tout le monde veut être connecté. Parfois, non sans une certaine inconscience totale, les Maliens alimentent leurs comptes réseaux régulièrement sans en tirer profit judicieusement. Conséquence, ce sont des milliers de FCFA dépensés par semaine aux dépens du budget familial. Kadidia n'est donc pas la seule dans son cas. 

Plus que le budget nourriture

Ousmane Konaté, major de l’armée malienne, raconte. «Il y a une utilisation excessive du téléphone portable. Ces réseaux nous appauvrissent. Je peux vous assurer qu’avant les années 2000, les dépenses mensuelles étaient nettement inférieures. Aujourd’hui, elles ont doublé. Personnellement je consomme entre 2000 à 5000 FCFA/semaine, sans compter pour les enfants et madame. La somme des dépensesmensuelles liées au mobile dépasse notre budget nourriture". Surtout que les opérateurs téléphoniques nous piègent avec leurs fameuses offres promotionnelles. C’est du gaspillage».

Pour Aliou Mahamadou Maïga, enseignant, le budget mensuel de la communication téléphonique est supérieur à l’entretien de trois trois enfants. «Nous les enseignants, nous calculons tout. Personnellement le téléphone portable me coûte 6000 à 7500 FCFA par semaine, soit nettement plus que les frais de carburant. En outre, les cinq membres de ma famille consomment chacun au minimum 500 FCFA dans la communication par jour, cela fait 75.000 FCFA/mois. Trop coûteux pour mon maigre salaire de major». 

En réalité, c'est devenu le poste de dépense le plus lourd à supporter. Les dépenses du téléphone portable se font au détriment des autres charges de la famille. C'est arrivé à un niveau tel que des voix se lèvent pour demander que l'on protège le consommateur. 

Le régulateur ne protège pas le consommateur

Au Mali, c’est l’Autorité malienne de régulation des télécommunications et des postes qui est chargée du contrôle des télécoms. Cette structure, selon Dr Adama Traoré, président du réseau malien des consommateurs du téléphone mobile (Remacotem) est défaillante quant à la protection des consommateurs.

"L’impact du téléphone portable sur le budget familial est négatif, Pour plusieurs raisons". Selon lui, la première est l’insouciance des citoyens quant au coût de la communication de tous les jours. Les gens ne se rendent pas compte qu’ils dépensent beaucoup d’argent et souvent pour rien. Chez nous, la plupart des consommateurs n’utilisent pas le téléphone comme outil de travail, mais entretiennent des liens parentaux et amicaux avec ce mode de communication. 

La deuxième raison, "c’est la facturation imposée par les opérateurs qui n’est pas du tout contrôlable". Par exemple, Orange Mali et Malitel n’ont pas le même niveau de facturation des unités. Et c’est là qu’on abuse des consommateurs.

Ce n’est pas tout. La connexion Internet au Mali est des plus instables. "Vous payez le service, en retour vous n’êtes pas satisfait, nous a expliqué Dr Adama Traoré.

Regrettant ne pas disposer de statistiques pouvant étayer ses propos, ce défenseur des droits des consommateurs (qui se bat depuis près de dix ans), affirme que le budget individuel de l’utilisation du téléphone portable est un désastre pour l’économie des ménages. Il pointe un doigt accusateur sur l’Etat qui ne protège pas, selon lui, les consommateurs.

A l’analyse de ces points de vue, il apparait clairement que le téléphone portable, faute de jouer son rôle de catalyseur de la croissance économique, a un impact ‘’négatif’’ sur l’économie familiale et contribue dans une certaine mesure à appauvrir les populations.

Par Daouda Tougan Konaté (Bamako, correspondance)
Le 18/08/2016 à 10h22, mis à jour le 18/08/2016 à 12h32