C'est sans doute l'histoire la plus rocambolesque du siècle dernier. Comme personnage principal, un homme dont le nom ne dit pratiquement rien aux Occidentaux, mais qui en Afrique subsaharienne résonne comme une énigme: Foutanga Sissoko, dit Babani (le petit baba ou le petit père). Il aurait réussi à soutirer, grâce à ses talents de persuasion, la rondelette somme de 242 millions de dollars au directeur général de la Banque islamique de Dubaï.
Tout commence en août 1995, affirme Brigitte Scheffer, grand reporter à la BBC, qui est partie sur les traces du braqueur, interrogeant les enquêteurs d'Interpol, ses avocats et les banquiers floués, mais aussi l'intéressé. C'est à cette date qu'il franchit les portes de la banque et rencontre Mohamed Ayoub, auprès de qui il veut souscrire un prêt pour l'achat d'une voiture, qu'il obtiendra. Il invitera ensuite son banquier à dîner chez lui, sans doute pour le remercier. C'est là qu'il parvient, par un tour de passe-passe, à multiplier par deux une somme d'argent qu'il avait par devers lui. Il fera croire à son hôte qu'il est capable de cette prouesse avec n'importe quelle quantité de billets de banque, pourvu qu'il y touche.
Quand le banquier revient le voir avec une somme d'argent importante pour tester ses pouvoirs magiques, Sissoko passe l'examen avec succès. La somme est tout simplement multipliée par deux, au grand étonnement de Mohamed Ayoub. Le deal peut commencer. Pendant trois ans, ce sont pas moins de 183 virements internationaux qui sont effectués au profit de Babani à travers le monde. A l'un des collaborateurs à qui il s'est confié, Mohamed Ayoub a même eu honte de dire le montant qu'il a perdu. "Il m'a simplement tendu un bout de papier sur lequel était inscrit la somme de 890 millions de dinars, soit 242 millions de dollars à l'époque", explique le collègue d'Ayoub.
Dans le reportage diffusé sur la chaîne BBC, l'un de ses avocats décrit un homme étonnant. Selon lui, si Babani avait eu la chance de faire des études, il aurait été un génie des mathématiques, car il a une mémoire phénoménale des chiffres. En effet, l'homme savait à peine lire son nom, mais il n'oubliait pas une seule date, un seul montant, un quelconque chiffre et était capable de calculer aussi vite qu'une machine.
Le jour où il est né, tous les villages autour de Dabia, son village d'origine, ont pris feu, dira-t-il lui-même à Brigitte Scheffer. De quoi entretenir le mystère autour de cet homme et son parcours. En effet, malgré des dizaines de plaintes et une traque sans fin d'Interpol, il n'a jamais comparu devant un tribunal et n'a passé que quelques nuits en détention.
Fin 1995, il se rend en Suisse pour ouvrir un compte, après avoir échoué à acheter des avions pour la création d'une compagnie, en l'occurrence Air Dabia. Sissoko avait alors essayé de corrompre des douaniers américains en leur offrant 300.000 dollars pour que des avions datant de la guerre du Vietnam puissent quitter le sol américain. C'est du moins ce que raconte Alan Fine, un avocat embauché par la Banque islamique de Dubaï pour enquêter sur Sissoko. A Genève, où un mandat d'arrêt international l'attendait, il fut arrêté et extradé aux Etats-Unis. Mais, selon l'un de ses avocats, Tom Spencer, d'influentes personnalités, y compris des diplomates, se sont mobilisés pour le tirer d'affaires. Sissoko ne comparaîtra pas pour tentative de corruption.
L'homme intrigue Alan Fine, l'avocat de Miami, qui rapporte qu'en 1995, Sissoko est entré à la Citibank, "sans rendez-vous, y a ouvert un compte où il a fait transiter 100 millions de dollars et a épousé la caissière à qui il a offert 500.000 dollars". Après celà, il a mené la grande vie dans la Magic City. Le "magicien" Babani ne pouvait mieux choisir sa ville. Il y occupera simultanément 23 appartements, épousera plusieurs femmes et deviendra le mécène de différentes écoles. Pendant ce temps, Mohamed Ayoub est jugé à Dubaï et condamné pour fraude à une peine de 3 ans de prison et à rembourser une somme d'argent dont il n'a probablement jamais vu la couleur.
A partir de 2002, au Mali, le magicien Babani devient l'honorable Foutanga Sissoko et siège comme député jusqu'en 2014, bénéficiant de l'immunité parlementaire, ce qui a rendu vaines les poursuites. Actuellement, il vit dans son village de Dabia, où il coule une retraite tranquille et affirme n'être qu'un pauvre."Si quelqu'un avait les pouvoirs magiques dont parle Mohamed Ayoub, aurait-il besoin de travailler?", demandera-t-il à Brigitte Scheffer. "Il lui suffirait de rester là où il est et de faire virer n'importe quelle somme d'argent sur son compte bancaire".