Annoncé en juin 2020 avant d’être repoussée au 1er janvier 2021 à cause de la pandémie du Covid-19, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), l’un des projets phares de l’Agenda 2063, sera opérationnelle à partir de ce vendredi 1er janvier 2021. En choisissant cette date, les dirigeants du continent, ou certains d’entre eux, affichent clairement leur ambition d’aller vers une plus grande intégration des pays africains, notamment en ce qui concerne les échanges commerciaux.
Cette décision de rendre opérationnelle la Zlecaf intervient après plusieurs réunions de dirigeants politiques et experts du continent et des avancées importantes en matière organisationnelle. Outre la désignation du premier secrétaire général de la Zlecaf, le 10 février dernier, en la personne du Sud-africain Wamkele Keabetwe Mene, qui aura la lourde tâche de lancer ce marché commun de 1,3 milliard d’habitants et un PIB de 3.000 milliards de dollars, le siège de l’institution a été inauguré à Accra, au Ghana.
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Avec seulement 16% des échanges intra-africains, contre 50% en Asie et 67% en Europe, l’Afrique est le continent le moins intégré. Et selon les experts de l’Union africaine, l’opérationnalisation de la Zlecaf devrait faire croitre de 52% les échanges commerciaux intra-africains d’ici deux ans.
Toutefois, le lancement de ce marché de libre-échange ne se fera pas sans couacs. Et certains experts avancent que le lancement du marché unique semble se faire un peu dans la précipitation.
D’abord, le principal obstacle à l’opérationnalisation de la Zlecaf concerne les droits de douane et particulièrement le problème épineux de la «règle d’origine». La règle d’origine est une sorte de passeport qui doit permettre à un bien (marchandise) de circuler au sein du marché unique sans payer de droits de douane. Elle certifie que ce bien est, dans une certaines proportion, d’origine africaine.
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Et le gros du problème reste de calculer cette proportion d’«africanité» du bien. Si celle-ci est très élevée, cela pourrait bloquer les échanges et découragerait les pays exportateurs africains qui ont besoin d’intrants importés d’autres continents pour fabriquer leur produit final. Et si ce taux de «règle d’origine» est trop bas, cela va favoriser les importations hors du continent de produits qui envahiront celui-ci sous couvert de «Made in Africa». Et les pays de destination de ces biens seront handicapés en perdant des droits de douane s’ils les avaient importés directement en dehors du continent. Ainsi, beaucoup de pays craignent que certains Etats n’attirent des investissements étrangers chez eux en faisant miroiter à ceux-ci le marché unique africain et tirer profit de l’absence de droits de douane pour écouler des produits importés auxquels ils n’ajoutent que peu de contenu local.
Du coup, le point essentiel est de parvenir à un pourcentage de «contenu local» pour les produits qui seront échangés au niveau du marché unique. Les experts avancent la nécessité de mettre en place des règles d’origine compréhensibles, transparentes, évolutives et accessibles aux petites et moyennes entreprises africaines qui constituent l’essentiel des tissus économiques du continent.
Le problème de la règle d’origine sera le principal obstacle au fonctionnement de la Zlecaf et suscitera certainement de nombreux différends commerciaux entre Etats africains.
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Ensuite, l’objectif de ce marché unique est de lever les barrières tarifaires qui entourent les échanges commerciaux en Afrique et qui constituent de véritables obstacles aux échanges de biens entre pays du continent. Dans ce marché, 90% des échanges de biens seront exonérés de droits de douane et les obstacles non-tarifaires, à visées protectionnistes, seront également supprimés. Une situation qui va entrainer des pertes de recettes douanières pour de nombreux pays du continent. En effet, selon certaines estimations, des pertes de 4 milliards de dollars seront enregistrées au niveau du continent africain.
Toutefois, ces pertes seront compensées par des retombées positives de la Zlecaf qui devraient être jusqu’à 4 fois supérieurs grâce à la baisse des prix des biens de consommation, à la transformation accélérée de l’industrialisation en Afrique, à la diversification des économies, etc. Mais, ceux qui vont perdre ne seront pas nécessairement les gagnants de ce marché unique.
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Par ailleurs, ce marché rassemble tous les 54 pays du continent qui sont de niveaux de développement très différents, avec des pays émergents et des Etats figurant parmi les plus pauvres du monde. Du coup, appliquer les mêmes règles à tous dès le départ peut constituer un handicap pour les Etats les plus faibles qui comptent beaucoup sur les recettes douanières de leurs importations.
En outre, si tous les pays membre de l’Union africaine ont signé l’accord de la Zlecaf, il faut noter que certains pays continuent à trainer les pieds pour ratifier celui-ci. Ainsi, à mi-décembre, seulement 34 Etats avaient ratifié l’accord. Les 20 autres préférant certainement attendre de voir plus clairement sur les règles entourant les échanges au niveau de ce marché pour s’engager, ce qui risque de poser quelques problèmes au niveau des échanges commerciaux entre pays africains.
Enfin, même en cas de ratification de tous les pays, il restera à résoudre les problèmes liés à la corruption, aux lourdeurs administratives et au manques de moyens de certains pays pour faire face au défi du marché commun.
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Conséquence de ces multiples écueils, l’ambition de la Zlecaf de faire passer les échanges intra-africains de 16% actuellement à 60% à l’horizon 2034 risque de ne pas être atteinte. Cela d’autant plus que les échanges commerciaux des pays africains sont encore dominés par les exportations de matières premières, notamment les minerais (cobalt, or, zinc, plomb, fer, nickel, etc.), pétrole, produits agricoles (cacao, noix de cajou, café, thé, etc.). C’est d’ailleurs l’un des freins au développement du continent où la transformation fait défaut. Or, pour accroitre les échanges intra-africains, il faut obligatoirement que les pays africains transforment une partie de leurs matières premières localement. Selon les experts, si la Zlecaf atteint ses objectifs, elle permettra de sortir 70 millions d’Africains de la pauvreté et 30 millions d’une situation d’extrême pauvreté à l’horizon 2035, selon les experts de la Banque mondiale.
Cette ambiition est à même de susciter l’intérêt d’opérationnalisation de l’institution et apporter les correctifs nécessaires au fur et mesure. Une chose est sure, l’Afrique, qui ne pèse que 3% des échanges mondiaux, ne peut pas rester le continent unique encore balkanisé commercialement.