Kiosque le360 Afrique. On est en 1938. Jusqu'ici, dans une bonne partie de ce qui constitue l'est algérien actuel, chaque vendredi les imams des mosquées n'oublient jamais de prier pour leur sultan, Mohammed Ben Youssef, comme le rapporte plusieurs témoignages. C'est là que sera tracée la ligne Trinquet, comme beaucoup d'autres en Afrique. Le compas et l'équerre tenus au bout de la baillonnette avaient fini, il est vrai, par prendre le dessus sur les réalités historiques.
L'Administration française, présente en Algérie depuis plus d'un siècle, décidera ainsi d'amputer le Maroc d'une partie au nord, d'une autre encore plus grande au sud du royaume. "C’était sans réfléchir aux conséquences futures d’un tel acte arbitraire puisque tous ces territoires sont sous domination de la France", écrit Sébastien Boussois dans Jeune Afrique, citant intégralement Guillaume Jobin, auteur de Lyautey, le Résident et Mohamed V, le Sultan (2014 et 2015, Magellan & Cie, Paris) et président de l’École supérieure de journalisme de Paris.
Cette ligne n'était reconnue par personne, sauf les officiers français qui l'avaient tracée pour leur besoin logistique. Mais, en 1956 quand le Maroc reprend son destins en main, c'est bien cette fameuse courbe tracée machinalement sur une carte qui servira de frontère entre l'Algérie et le Maroc.
L'erreur sur la Mauritanie
Le plus étonnant, c'est qu'en 1932, "prévenu par Mohammed V, Lyautey proteste publiquement contre le rattachement de territoires mauritaniens à l’Afrique-Occidentale française, arguant qu’ils relèvent de l’autorité du Sultan". Sébastien Boussois aurait d'ailleurs pu rappeler que de tout temps, le Fouta, regroupant une bonne partie de la région du fleuve Sénégal, a été un royaume différent de l'empire du Djolof qui fait le Sénégal actuel. Ce même Fouta était également indépendante des territoires arabo-berbères appartenant au Royaume du Maroc. Et aujourd'hui, c'est le rattachement de la partie nord du Fouta à l'actuelle Mauritanie est à l'origine de l'ostracisme que vivent les populations négro-africaines dans ce pays. C'est là une autre erreur de la France coloniale, comme l'est par ailleurs la Gambie, bande de terre longeant le fleuve du même nom et complètement enclavée dans le Sénégal.
Pour revenir au Maroc et à l'analyse de Boussois, c'est Lyautey lui-même qui avait orchestré tout cela, alors qu'il était l'autorité militaire de la France en Algérie, quelques années plus tôt. Le Traité de Fez viendra instaurer le Protectorat et surtout "le démembrement du Maroc au profit de l'Espagne, et passant sous silence ces acquis précités de la France", note l'auteur. Ce faisant, la France obtenait le soutien de l'Espagne dans la guerre qui se préparait avec l'Allemagne. C'est ainsi que Madrid deviendra le colonisateur du Sud du Maroc et du Rif.
(1) Sébastien Boussois est chercheur en sciences politiques associé à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), spécialiste des relations euro-méditerranéennes, et co-auteur avec Jilali Al Adnani de « À la conquête du Sahara Marocain, deux siècles de convoitises étrangères les nouvelles révélations des archives françaises », paru chez Casa Express (2017).