Depuis quelques années, tous les projecteurs sont braqués sur l’Afrique, considérée comme la dernière frontière de la croissance de l’économie mondiale. Reste que souvent, observateurs et analystes ont des idées préconçues sur le continent. C’est sur ces nuances qu’est revenu Ludovic Subran, chef économiste d’Euler Hermes, leader mondial de l’assurance crédit, avec un encours de 12 milliards d’euros sur l’Afrique, pour apporter un décryptage sur les «10 idées reçues sur l’Afrique à combattre de toute urgence».
1- L’Afrique, tous pareils ?
Actuellement, quand on parle de l’Afrique, on a tendance à en parler comme s’il s’agissait d’un pays. Loin de là, le continent est composé de pays hétérogènes qui connaissent des rythmes de croissance, des environnements d’affaires et des diversifications économiques largement contrastés. Si on combine croissance et climat des affaires, l'Ile Maurice, l'Afrique du Sud et le Maroc figurent en bonnes places, devant un lot de pays qui affichent des croissances plus soutenues mais dans des environnements d’affaires moins favorables dont la Côte d’Ivoire, Tanzanie, Ethiopie, Kenya, Ghana et Sénégal. Et une troisième catégorie est composée de pays enregistrant des croissances globalement faibles et des environnements défavorables (Libye, Angola, Soudan, Guinée, Zimbabwe, Algérie et Madagascar).
Pour Euler Hermes, l’Afrique est hétérogène. Certains pays se réforment alors que d’autres se transforment.
2- L’Afrique ne marche qu’aux matières premières
La croissance africaine est certes tirée dans de nombreux pays par l’exploitation des matières premières. Toutefois, explique l’économiste, «la part des dépenses de R&D décolle, même si elle est encore loin de celle d’autres pays». Certains pays développent des hubs d’innovation tels Jakolabs Casablanca, Cairo Hackspace, iHub au Kenya, etc. Dans des pays comme le Kenya, Egypte, Maroc, Mali, Ethiopie et Afrique du Sud, les dépenses en R&D avoisinent les 0,8% de leur PIB. Ainsi, si les matières premières continuent à peser sur la croissance de nombreux pays, l’innovation est de plus en plus au centre des préoccupations en Afrique.
3- Les infrastructures sont inexistantes
Certes, le continent affiche des déficits énormes en termes d’infrastructures, il n’en demeure pas moins que de nombreux pays du continent ont massivement investis dans les infrastructures au point de combler une partie de leur retard. C’est le cas du Maroc qui a développé ses infrastructures de base au cours des dernières années (Port Tanger Med, autoroutes, plateformes logistiques, etc.).
En clair, dans de nombreux pays, les infrastructures se développent, mais le rythme doit être accéléré afin de rattraper le gap et accélérer la croissance.
Le gap d’infrastructure des pays africains comparativement à la France reste très important. A titre d’illustration, pour rattraper le niveau d’infrastructures (téléphone mobile, routes, chemin de fer, réseau d’eau et d’électricité, etc.) de la France, le Nigéria et l’Egypte doivent respectivement investir 1900 et 1534 milliards de dollars d’ici 2030 !
4- L’Afrique est isolée du monde
Le continent est loin d’être isolé. Il participe de plus en plus aux échanges mondiaux. «Le consommateur africain importe chaque jour davantage et représente une manne importante», souligne Ludovic Subran. Au niveau des exportations du continent, celles-ci devraient atteindre 560 milliards de dollars en 2016.
L’Afrique est loin d’être isolé et s’ouvre davantage au reste du monde. Ainsi, les gains additionnels cumulés (import/export) d’ici 2025 sont importants pour de nombreux pays africains. Ces gains vont particulièrement bénéficier aux pays côtiers et riches en matières premières du continent. Le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Kenya et le Maroc seront les grands bénéficiaires de ces gains. A titre d‘illustration, le Nigéria devrait réaliser des gains cumulés de plus de 210 milliards de dollars en exportations et plus de 150 milliards de dollars en importations d’ici 2025. Pour le Maroc, les gains cumulés sont estimés à plus de 40 milliards de dollars en export et 21 milliards de dollars en import. C’est dire que l’Afrique est loin d’être isolée.
5- Les institutions africaines sont inexistantes
Si la qualité des institutions africaines laisse à désirer pour nombre d’observateurs, l’économiste d’Euler Hermes préfère nuancer. Ainsi, certains pays africains sont biens notés en ce qui concerne la qualité de leurs institutions. Le Rwanda, par exemple, est bien noté en matière de contrôle de la corruption, de la qualité de la réglementation, de l’Etat de droit et de l’efficacité du gouvernement. A ce titre, il faut souligner que le dernier classement du Forum économique mondial 2016-2017 classe le pays au 13e rang mondial en termes de qualité des institutions.
6- Personne ne veut financer la croissance africaine
Pour assurer sa croissance, l’Afrique a besoin de financement. Ces sources de financements doivent être interne et externe. Pour cela, les pays du continent doivent mettre en place des réglementations et des outils à même d’apporter aux investisseurs la confiance nécessaire. De même, une fiscalité efficiente est indispensable pour assurer aux Etats africains les ressources nécessaires pour financer la croissance. En clair, les pays africains doivent combiner des ressources budgétaires solides à même de financer la croissance tout en assurant un environnement économique favorable pour attirer l’investissement direct étranger.
Certains pays arrivent à combiner ces deux ressources. C’est le cas du Maroc avec des recettes budgétaires avoisinant 25% du PIB et des entrées d’IDE dépassant 3% du PIB.
En clair, les africains financent leur développement et de plus en plus d’investisseurs s’intéressent au continent et apportent des financements.
7- le consommateur africain n’est pas bancable
Avec plus d’un milliard de consommateurs, l’Afrique est un marché non négligeable. Il sera incontournable au fur et mesure que le continent se développe et la classe moyenne s’élargit. L’indice Euler Hermes de potentiel de consommation, -qui se base sur trois indicateurs: population urbaine additionnelle, croissance de la consommation et accès à internet-, montre que ce potentiel est important dans un certain nombre de pays : Nigéria, Kenya, Maroc, Egypte, Afrique du Sud, Ghana et Côte d’Ivoire.
8- On ne peut pas travailler avec les entreprises africaines
«L’absence d’information financière et la défiance empêchent les entreprises africaines d’avoir accès au crédit fournisseur», souligne t-on auprès d'Euler Hermes. On constate que les importations africaines du reste du monde ressortent à 800 milliards d’euros dont 60% réglés au comptant et le reste à crédit. Donc, il n'est pas difficile de faire des affaires avec l'Afrique Il faut seulement accepter de faire crédit aux entreprises africaines.
9- L’agriculture, c’est has been
Pour l’assureur crédit, «l’agriculture africaine est la clé dans l’émergence» africaine, en ce sens qu’elle permet de lutter contre la pauvreté et créer des emplois. Toutefois, pour jouer ce rôle, «elle doit faire sa révolution». Et cette dernière est déjà entamée avec le développement de la mécanisation, l’accès au marché, etc. On note parallèlement, dans de nombreux pays une croissance de l’intensité de production agricole (Malawi, Zambie, Sénégal, Maroc et Ethiopie) et une hausse des exportations agricoles en valeur (Ethiopie, Côte d’Ivoire, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Ouganda et Maroc), sur la période 2005-2010. En clair, l’agriculture africaine monte en gamme, se mécanise et crée des emplois.
10- Il est dur de trouver des talents et des entrepreneurs en Afrique
Sur ce point aussi, l’Afrique a réalisé des progrès incontestables. Le niveau d’éducation ne cesse de progresser.
Toutefois, le gap avec les pays développé est encore très important. Ainsi, alors que la proportion de la population qui accède à l’enseignement universitaire est de 61% en Allemagne et 62% en France, elle atteint 20% en Afrique du sud et un peu plus de 15% au Soudan, Ghana et Bénin. Pour la grosse partie des pays africains, cette proportion est comprise entre 3 et 10%.
Et en matière d’entreprenariat, le continent est encore en retard, hormis l’Afrique du Sud, qui se situe aux alentours du 40e rang au sein de l’indice Euler Hermes sur le climat de l’entreprenariat, suivie de loin par le Kenya et le Rwanda. Il n’en demeure pas moins pour l’économiste de l’assureur que «c’est bien l’entrepreneuriat, souvent informel, qui résoudra le skills gap et formera la base de capital humain nécessaire» du continent.