Transport aérien: voici les pertes et les stratégies de sortie de crise des compagnies maghrébines

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Le 13/12/2020 à 16h16, mis à jour le 14/12/2020 à 13h35

Royal Air Maroc, Air Algérie et Tunisair traversent des zones de turbulence à cause des impacts négatifs de la pandémie du Covid-19. Elles enregistrent des pertes importantes et manquent de visibilité quant à la relance. Seule la RAM dispose actuellement d’une stratégie de sortie de crise.

A l’instar des compagnies du monde entier, les compagnies aériennes publiques maghrébines traversent une crise aiguë. La pandémie du Covid-19 qui a entrainé la fermeture des frontières et les confinements des populations, clouant au sol les flottes depuis mars dernier, ont entrainé des pertes énormes pour les compagnies aériennes des trois pays du Maghreb.

Conséquences, les pertes en chiffres d’affaires sont importantes et rendent ces compagnies plus vulnérables encore financièrement étant obligées d’assurer les charges salariales d’effectifs souvent pléthoriques pour certaines d’entre elles. Du coup, certaines manquent de visibilité pour relancer leurs activités à la réouverture des frontières.

Royal Air Maroc: des pertes importantes, une restructuration et un plan de relance

Royal Air Maroc, l’une des plus importantes compagnies aériennes africaines derrière Ethiopian Airways et EgyptAir, a été touchée de plein fouet par les impacts de la pandémie du Covid-19 suite à la fermeture des frontières extérieures du royaume et à la suspension des vols intérieurs dans le cadre du confinement de la population en vue de limiter la propagation de la pandémie du Covid-19.

Cette situation a cloué au sol les 56 appareils de la compagnie durant une bonne partie de l’année, causant des pertes financières importantes. Ainsi, dans un entretien exclusif accordé à le360, Abdelhamid Addou, PDG de la RAM, a expliqué que le chiffre d’affaires de la compagnie s’est établi pour l’exercice 2020 à seulement 5 milliards de dirhams, contre 16 milliards de dirhams en 2019, soit une chute de 68,75%, et ce à cause du repli du trafic de la compagnie de 85% par rapport à un niveau normal.

Et continuant à faire face aux importantes charges, notamment celles du personnel, la compagnie a enregistré une perte de 3,5 milliards de dirhams, soit 320 millions d’euros.

Face à cette situation, RAM a concocté un plan de sauvetage de la compagnie qui comprend plusieurs volets. D’abord, elle s’est engagée à dégraisser ses effectifs. Ainsi, sur un total de 858 suppressions d’emplois annoncées dans le cadre de la restructuration de la compagnie, 600 collaborateurs ont déjà quitté la compagnie dans le cadre de licenciement économique et départs volontaires. De nouveaux licenciements ne sont pas écartés au sen du groupe au cas où la visibilité n’offre pas de perspectives favorables.

Le pavillon marocain compte aussi réduire la voilure de sa flotte en cédant environ 30% de celle-ci. Un premier lot de 6 avions Boeing 737-700 sera bientôt placé sur le marché. Ce qui réduira les charges d’exploitations et des entrées de liquidités dans les caisses de la compagnie. A condition de trouver preneurs dans un contexte sectoriel très difficile.

Enfin, la compagnie compte aussi sur un appui bancaire garanti par l’Etat de 2,4 milliards de dirhams, qui permettra à la compagnie d’éponger son passif lié à certains engagements en 2019 et 2020.

Air Algérie : pertes importantes mais aucun plan de relance à l’horizon

Air Algérie a enregistré des pertes estimées à près de 40 milliards de dinars, soit 260 millions d’euros, depuis la suspension des vols commerciaux dans le cadre des mesures de prévention contre la pandémie du Covid-19. Déjà en difficulté bien avant la crise sanitaire, la compagnie fait face à une crise financière très aiguë.

Toutefois, le management de la compagnie n’arrive pas à concocter un plan de restructuration et de relance. Ses tentatives ont été mises en échec par son personnel.

Ainsi, la décision du management de réduire de manière conséquente les salaires des employés de 30 à 50% s’est heurtée à un refus catégorique des salariés du groupe. Une situation qui a maintenu les charges du personnel à leur niveau alors que toute la flotte de la compagnie est clouée au sol. De même, la réduction des effectifs a été rejetée par ls syndicats. 

La seule mesure prise finalement par le management est la suspension du programme de renouvellement de la flotte en raison des retombées économiques de la pandémie de Covid-19. Ce renouvellement devrait se matérialiser par l’acquisition de 29 appareils entre 2019 et 2024 et contribuer au renouvellement d’une flotte vieillissante composée de 56 appareils d’un âge moyen de 11 ans.

Cette décision n’est pas directement liée à la pandémie. L’Algérie faisant face à une crise financière profonde dans le sillage de la chute du cours du baril de pétrole, les autorités avaient déjà mis une croix sur ce renouvellement de la flotte en adoptant des budgets d’austérité et en gelant plusieurs programmes d’investissement jugés non prioritaires.

Du coup, la survie de la compagnie dépend désormais de l’aide que lui apportera le gouvernement afin qu’elle puisse relancer son activité une fois les frontières réouvertes.

Tunisair: des licenciements et une importante perte

Sur les 9 premiers mois de l’année en cours, la compagnie aérienne tunisienne a vu son chiffre d’affaires et son trafic de passager chuter de près de 75%, à cause notamment de la pandémie du Covid-19.

A fin septembre 2020, le chiffre d’affaires de la compagnie a reculé de 1.336 à 436 millions de dinars tunisiens, soit de 407 à 133 millions d’euros, soit une chute de 67,40%. Cette baisse s’explique par la chute du trafic de passagers de 73%, passant de 2,68 millions sur les 9 premiers mois de 2019 à seulement 0,85 million de passagers entre janvier et septembre 2020.

Ces pertes liées à l’arrêt brutal du trafic sont venues aggraver une situation financière de la compagnie qui battait de l’aile depuis une décennie.

La compagnie est plombée par des effectifs pléthoriques et une masse salariale énorme. En effet, la compagnie emploie 222 agents par avion, alors que la norme mondiale est de 80 agents par appareil en exploitation.

Face à cette situation, le management a procédé à une légère restructuration au niveau des effectifs pléthoriques de la compagnie. Les effectifs ont été réduits entre janvier et septembre de 247 postes ramenant les collaborateurs de la compagnie à 3.464 salariés. Toutefois, une seconde vague de licenciements est annoncée avec à la clé une suppression de 400 postes supplémentaires.

Grâce au soutien de l’Etat tunisien, la compagnie est arrivée à réduire sa dette qui est passée sur la période de 1 milliard de dinars à 873 millions de dinars.

Toutefois, pour relancer la compagnie, une véritable restructuration de celle-ci est nécessaire. Cela entrainera de nombreux licenciement et peut-être une ouverture du capital de la compagnie à un opérateur étranger. Cette restructuration est d’autant plus nécessaire que la Tunisie est pressée par l’Union européenne pour ouvrir son ciel dans le cadre de l’Open Sky.

Enfin, pour l’année prochaine, la visibilité n’est pas pour le moment au rendez-vous. Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le chiffre d’affaires des compagnies aériennes (au niveau monde) sera en baisse de 46% en 2021.

Pour les compagnies maghrébines, seule l’ouverture rapide du ciel européen aux passagers venant des trois pays et du continent africain devrait atténuer la crise. Une situation qui devrait grandement dépendre de l’efficacité des campagnes de vaccination contre le Covid-19 annoncées en Europe et au niveau des pays du Maghreb.

Par Moussa Diop
Le 13/12/2020 à 16h16, mis à jour le 14/12/2020 à 13h35