Il est vrai que si on se base sur la présence des employés et des entreprises de BTP chinois en Algérie, on peut penser qu'il existe des relations fortes entre Alger et Pékin. Pourtant, pour Thierry Pairault, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) français, il s’agit d'une simple illusion d'optique. Il n'y a rien de solide entre les deux capitales. Leur relation est basée uniquement sur des prestations de services et non sur des investissements à long terme. Alors qu'avec le Maroc, le schéma est différent.
"Il y a une sorte de basculement opéré par la Chine de l'Algérie vers le Maroc en 2016 qui est de plus en plus clair", tranche-t-il tout de go dans une longue interview publiée sur le site de RT France.
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L'Algérie dépassée
Il procède ensuite à une analyse minutieuse des arguments qui sous-tendent ce constat. La Chine s'est rendue compte que son choix de passer par l'Algérie pour étendre son influence dans la région n'était pas le bon. Cela marchait tant qu'il y avait des luttes d'indépendance sur le continent. Mais l'Algérie, n'ayant pas su changer de disque, est restée dans une conception désuète des relations avec les autres pays africains. Alger et Pékin n'ont jamais parlé le même langage, explique Pairault. Quand la Chine veut des investissements, l'Algérie cantonne les entreprises de l'Empire du Milieu à la simple prestation de services. Concernant les zones économiques spéciales, l'Algérie a pratiquement fermé la porte à la Chine. Au final, "il n'y a pas d'enracinement", explique-t-il. De plus, avec la succession de Bouteflika qui reste floue, la Chine est condamnée à faire ce qu'elle déteste le plus, à savoir naviguer à vue, en ignorant totalement de quoi demain sera fait en Algérie.
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Or, avec le Maroc tout est beaucoup plus simple. Il y a la visibilité quant à l'avenir, une stratégie permettant une meilleure approche du pourtour méditerranéen et du continent africain, et des réalisations sur lesquelles Pékin peut s'appuyer. "Rabat a une stratégie industrielle, mais également méditerranéenne et de développement du commerce maritime", résume Thierry Pairault. Avant d'ajouter:"le port de Tanger est le troisième hub mondial et c'est un atout fondamental pour les Chinois". Ainsi, après Shanghai et Panama, les regards des armateurs du monde entier se tournent vers Tanger. Ni le Cap, ni Suez ne se prévalent de cet avantage en matière de transbordement et donc de transport maritime international.
La Chine ne peut plus se passer du Maroc
"Non seulement le Maroc offre à la Chine la porte vers l'Europe mais également - et c'est une information non négligeable au vu des ambitions de Pékin - vers l'Afrique et notamment l'Afrique francophone", souligne l'expert du CNRS. De plus, le Maroc tire sa force de la présence de ses banques et compagnies d'assurance sur le continent. La Société générale, première banque occidentale au Maghreb et toujours très présente en Afrique, compte également jouer sa partition.
C'est dire qu'aujourd'hui, pour toutes ces raisons, la Chine ne peut se passer du Maroc pour dérouler sa propre stratégie et réaliser ses ambitions africaines et méditerranéennes.
Néanmoins, "échoir au Maroc va permettre à Pékin non pas de délocaliser ses grandes entreprises, mais de délocaliser les sous-traitants" des sociétés occidentales, pense l'expert. Il s'agit en l'occurrence des sous-traitants de Renault et de Peugeot déjà installés ou en cours d’installation au Maroc, mais également ceux du groupe Volkswagen, Opel, BMW, Mercedes qui sont situés autour de 2 à 6 jours de Tanger.
C'est donc tout ceci qui fait que depuis quelque temps, hommes d'affaires et dignitaires chinois se bousculent au portillon. "La télévision d'Etat chinoise a diffusé plusieurs reportages sur le tourisme et la culture au Maroc. Une amicale de députés des deux pays s'est créée", constate RT France.
Mais, devant tout cela, force est de constater que la dynamique marocaine dépasse le simple cadre des relations avec l'Empire du milieu. "Ce qui a été mis en place à la fin des années 1990 par le royaume ne vient pas d'une impulsion chinoise. Les échanges entre les deux pays jusqu'à aujourd'hui étaient maigres, exception faite du thé".